Elle voit rouge, Ruth Childs. Un rouge pétant, rubicond. Pas celui de la colère, plutôt celui de la joie et du cabaret. Peut-être aussi un pourpre un brin luciférien, car ce spectacle n’est pas sans malice, dansé à une cadence parfois infernale sur des musiques qu’on pourrait qualifier de diaboliquement troublantes. Et puis le tout se déroule sous un brasero de spots écarlates cuisiné par l’éclairagiste Joana Oliveira.
Elle annonce la couleur, Ruth Childs. Le titre de sa dernière création chorégraphique est un programme: "Fun Times". On est là pour rigoler. De tout, y compris de la danse, de soi-même et du rire aussi. Puisqu’on parle d’enfer, disons que ce spectacle est une divine comédie. Et puis ce rouge, c’est aussi – hasard d’un incident de première – celui du sang qui coule sur la jambe de la danseuse et chorégraphe suite à un frottement trop intempestif de son genou sur le plancher, lequel est blanc immaculé.
Pièce pour cinq interprètes qui sont tout autant des corps en mouvement que des instruments de musiques et des clowns, "Fun Times" explore la joie dans tous ses états, y compris les plus absurdes ou les plus triviaux. Des chatouilles au plaisir pur du jeu, du sourire hypocrite à l’éclat de rire le plus franc.
Patchwork musical
Le spectacle débute à peine sur un son de vieille boîte à rythmes que nos repères sont brouillés: comédie musicale contemporaine? Chorale dansée? Opérette en mode new-yorkais minimaliste? Mise en mouvement d’une partition vocale qui pourrait être signée Philip Glass, cadencée de "hi!" et de "ho!", de" ha!" et de "hou!". "Fun Times" cite des pas de danse que l'on croit avoir vus dans "Le magicien d’Oz" ou "Chantons sous la pluie", autant de farces et d’attrapes visuelles.
Perché au sommet des gradins, le compositeur Stéphane Vecchione fait feu (rouge) de tout matériau musical, musique classique revisitée par un synthé vintage, extraits de musique pop (Kraftwerk, Donna Summer, Elvis et tant d'autres), opéra, chant religieux, le tout dans un tourbillon de coupures et collages qui rappelle ce son bientôt obsolète de la bande FM quand vous tournez et tournez frénétiquement le curseur à la recherche d'une station radio.
Un spectacle déroutant
Du grand art du copier-coller, tout comme les mouvements des cinq interprètes, Ruth Childs, Bryan Campbell, Karine Dahouindji, Cosima Grand et Ha Kyoon Larcher, chacun, chacune, dansant, jouant, riant, pleurant, jaillissant d'un rideau (rouge forcément) qui ne dépareillerait pas dans un spectacle de stand-up.
Au final, "Fun Times" déroute, c'est son but. Ou plutôt il évite toute ligne droite pour s'aventurer sur les chemins de traverse de la danse et du plaisir. Si vous vous sentez perdus, vous pouvez toujours vous accrocher au rideau et simplement rire avec cette fine compagnie de doux dadaïstes.
Thierry Sartoretti/aq
"Fun Times" de Ruth Childs. Avec Ruth Childs, Bryan Campbell, Karine Dahouindji, Cosima Grand et Ha Kyoon Larcher. Théâtre Arsenic, Lausanne, jusqu'au 3 novembre. Puis, Centre culturel suisse, Paris, les 21 et 22 novembre 2024.
Par ailleurs, Ruth Childs danse en solo "Delicate People" du 8 au 10 novembre 2024 au Commun à Genève dans le cadre du Festival Dance first think later.
Et enfin, toujours en solo, l’extraordinaire "Blast!" au Temple allemand de La Chaux-de-Fonds les 27 et 28 novembre 2024 dans le cadre de la saison de l’ADN (Association danse Neuchâtel)