La phrase, toute en élégance et maîtrise de soi, est inscrite dans les annales: "Lève-toi ou je t’écrase la gueule à coup de talon!" Ça se passe à Liège en 1987. En quelques mots, le philosophe Bernard-Henri Lévy, alias BHL, chemise blanche, chevelure Ancien Régime et port altier vient de ruiner sa réputation de fin lettré.
A terre, Noël Godin, entré dans la postérité comme l’entarteur, ou le Gloupier, référence au "gloup gloup gloup" qu’il profère en jetant sa tarte à la figure de ses victimes. Le Belge s’est juré de rendre ridicules celles et ceux qu’il estime être des cuistres ou des fats. Entre ces deux-là débute une longue relation conflictuelle : BHL va subir pas moins de huit entartages. Un record. Première entartée, Marguerite Duras, n’aura subi qu’un seul attentat pâtissier, à l’instar de Jean-Luc Godard.
Une action soigneusement préparée
Attentat? Le mot n’est-il pas trop fort pour un simple jet de tarte à la crème balancée à l’improviste sur le nez d’un quidam? Au contraire, il est pleinement justifié, car l’entartage est une action planifiée, généralement collective, minutieusement préparée et destinée à ruiner la dignité de sa victime laquelle n’est bien sûr ni prévenue ni consentante.
A l’heure où l’on assassine, empoisonne ou moleste des personnalités politiques, l’entartage peut faire peur. D’ailleurs, on entarte moins de nos jours. Jean-Pierre Chevènement en est partiellement la cause. Entarté, le ministre français a obtenu la condamnation pénale de son assaillant pâtissier. Juridiquement, la tarte est depuis devenue une "arme par destination". Faudra-t-il désormais un permis pour acquérir une forêt noire? La question mérite d’être posée.
Inaugurer une statue
Pour être du bon côté de la tarte, mieux vaut être membre du collectif des Lents, soit Pauline Castelli, Pierre-Angelo Zavaglia, Julien Meyer, Lucas Savioz, Prune Beuchat et Melissa Rouvinet. Ces six sont suisses et entraînés telle la crème de la crème des barbouzes.
Avec elles et eux, nous voici dans la rue, en public, réunis pour l’inauguration d’une mystérieuse statue. La caméra tourne, les guetteurs guettent, les chronométreurs chronomètrent, la tarte et sa porteuse ont rejoint le coin de la rue, prêtes à l’action. La cible arrive enfin: 1-2-3 et "Splatsch!"
Une recette de l'entartage
"Splatsch!", c’est à la fois le but et le titre. Un spectacle de théâtre de rue qui se veut une véritable recette de l’entartage. Chaque geste, chaque ingrédient, tenant et aboutissant est discuté publiquement. Ça rigole, beaucoup, avec tout de même ce petit biscuit à débattre: cool ou pas cool, l’attentat pâtissier?
Noël Godin, 78 ans, recommandait une tarte issue de la meilleure pâtisserie, généreuse en appareil et en crème. Aujourd’hui, crise budgétaire oblige, la tarte se réduit le plus souvent à une assiette en carton recouverte de crème chantilly en tube. Une décadence assurément. Les esthètes de l’entartage peuvent soupirer, les entartés, couverts de crème jusqu’aux oreilles, ne voient toutefois que rarement la différence.
Laurel et Hardy à la crème
Remontons le temps jusqu’à la mère des batailles pâtissières. Elle date de 1927 et porte en français le titre largement mérité de "Bataille du siècle". A la caméra, Clyde Bruckman.
Devant l’objectif, Stan Laurel et Oliver Hardy. Tout est là. Ça en jette, pour sûr. Avec cette règle d’or de l’attentat pâtissier: avant de balancer une tarte à la figure d’autrui, toujours s’assurer que ça tourne. Pas d’entartage sans témoignage filmé. Au fond, tout ça, c’est de la faute à Hollywood.
Thierry Sartoretti/mh
"Splatsch!", par le collectif des Lents, en tournée: Sion, le Spot, les 3 et 4 août. La Chaux-de-Fonds, Festival de la Plage des 6 Pompes du 6 au 8 août. Yverdon-les Bains, Festival Castrum, du 8 au 11 août. Vevey, Théâtre du Reflet, du 30 août au 1er septembre.