Dans le monde du théâtre, c’est un passage obligé. Presque un rite. Au milieu du mois de juin ou début septembre, les directions d’institutions présentent leur saison. Selon, les budgets et les habitudes, cela va du simple communiqué de presse à la soirée avec petits fours pour soigner public, soutiens financiers ou journalistes. Les directions les plus volontaristes invitent au plateau les artistes de la future saison ou prévoient une animation vidéo.
Bref, côté communication, la présentation de saison, c’est un must. Il s’agit de titiller la curiosité et susciter l’envie: abonnez-vous, c’est chez nous que cela se passe et vous ne serez pas déçus!
Quand Clea Eden et Fanny Krähenbühl déboulent déguisées en arbre et en pingouin blanc début décembre dans le foyer du Théâtre Nebia, à Bienne, on se dit d’emblée que leur "Présentation de saison" ne va pas se jouer en mode mineur. Les deux comédiennes romandes et bilingues annoncent reprendre dès janvier la direction d’un nouveau théâtre. Et d’emblée, "pour ne pas faire comme tout le monde", elles commencent par lister ce qu’elles ne veulent pas. Ou carrément ce qu’elles détestent.
Ça va des prix trop chers au foyer miteux, des comédiennes et des comédiens insupportables de nombrilisme en passant par les abonnés, ce lobby vieillissant qui terrorise les directions de théâtre. Pour leur saison, elles ont choisi un symbole: le panneau EXIT et son petit bonhomme vert courant en direction de la sortie. Elles ont aussi adopté un slogan: "Le courage, c’est parfois de fuir".
Trente minutes de théâtre déjanté
On l’aura compris, "Présentation de saison" est une farce. Trente minutes de théâtre déjanté à l’heure de repas de midi, plat du jour et dessert inclus dans le billet d’entrée, car il s’agit de la formule Midi Théatre. Les deux directrices, non contentes de dézinguer avec humour et amour leur propre profession, vont prendre un malin plaisir à afficher leur désaccord à propos de leur future ligne artistique.
"Présentation de saison" débute façon carnaval et se termine façon carnage. On rit de bon cœur devant cette débauche d’énergie et ce débit verbal échevelé quand bien même on aurait aimé entendre quelques noms parmi ces fameux nombrilistes égomaniaques du théâtre. Quand on aime l’art de la pique, autant opter pour la grande fourche plutôt que la petite fourchette.
Une piste tout de même. La compagnie de Clea Eden et Fanny Krähenbühl s’appelle KKuK, soit Institut für Kunst, Kultur und Konfliktforschung (l’Institut de recherche sur l’art, la culture et le conflit), un pastiche de la compagnie du désormais fameux metteur en scène bernois Milo Rau à la tête d’une compagnie nommée, par provocation, IIPM, soit l’International Institute of Political Murder.
Thierry Sartoretti/aq
"Présentation de saison" par KKuK, Théâtre Benno Besson, Yverdon-les-Bains, le 5 décembre; l’Inter, Porrentruy, le 9 décembre; Théâtre du Jura, Porrentruy, le 10 décembre; Spot, Sion, le 11 décembre; Casino-Théâtre, Rolle, le 12 décembre; CO2, Bulle, le 16 décembre; Théâtre du Pommier, Neuchâtel, le 17 décembre; Le Reflet, Vevey, les 18 et 19 décembre 2024; Nuithonie, Villars-sur-Glâne, le 9 janvier 2025.