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"Bérénice", l’indémodable du théâtre depuis 346 ans

L'affiche de "Bérénice" à voir au Théâtre de l'Orangerie. [theatreorangerie.ch/programme]
Bérénice, la fille dont on ne se lasse pas / Nectar / 27 min. / le 22 septembre 2016
A Genève, le théâtre de l’Orangerie présente jusqu'au 29 septembre "Bérénice" de Jean Racine. Sa langue et son cadre sont très éloignés de notre époque. Dès lors, pourquoi et surtout comment présenter aujourd’hui les grands auteurs classiques, Racine, Corneille ou Molière? Une enquête de Thierry Sartoretti pour l'émission "Nectar".

Il la renvoya de Rome. Malgré lui et malgré elle. Lui, c’est Titus, l’empereur. Elle, c’est Bérénice, reine de Palestine. Ils ne se marieront pas. "Bérénice", c’est l’une des tragédies les plus célèbres du théâtre classique. Elle est signée Jean Racine. En 1670, année de la première de ce spectacle, ce fut un succès de larmes qui plut énormément aux dames de la cour et ne déplut pas au Roi Soleil. Aujourd’hui, Bérénice embrasse toujours et encore son Titus chéri sur la scène du Théâtre de l’Orangerie à Genève.

Est-ce que jouer Racine, écouter Racine, c’est pousser la porte d’un musée du théâtre ou de la langue française?

Pour le metteur en scène de "Bérénice", Didier Nkebereza, ce drame de l’amour est toujours actuel. Il s’agit, transposé dans la modernité, d’un choix: privilégier sa vie amoureuse ou sa carrière professionnelle. Prix Médicis 2015, l’auteure française Nathalie Azoulai constate également que Bérénice sera toujours contemporaine tant que les couples se sépareront dans la douleur. Dans son roman "Titus n’aimait pas Bérénice", à la fois récit d’une rupture et plongée dans la vie de Racine, cet homme qui décrivait si bien le chagrin des femmes, une Bérénice moderne est quittée par un amoureux qui lui préfère Roma, son épouse légitime.

Les jeunes sont-ils réceptifs à cette langue?

Vers en douze pieds, l’alexandrin peut sembler plus exotique qu’une langue étrangère. Mais à l’Ecole des métiers de Lausanne, Philippe Crétegny, qui enseigne le français, constate que ses élèves de 16 et de 20 ans finissent par se piquer au jeu de cette musicalité particulière. Par ailleurs, l’alexandrin se niche parfois à où ne l’attendait pas, par exemple dans les paroles d’un rappeur comme Akhenaton du groupe de hip-hop français IAM. Pour Alexandre Doublet, qui dirige le Théâtre valaisan TLH-Sierre et a récemment créé une "Andromaque" de Racine… rebaptisée "Les Histoires d’A – Andromaque", les ouvrages classiques continuent de nous poser des questions sur notre destinée et nos choix de vie. Et la langue racinienne n’est pas un obstacle dès lors qu’elle est incarnée par le corps des comédiens ou déclamée à haute voix.

A-t-on le droit de jouer ce type de répertoire en modifiant les textes, en adaptant le langage ou le vocabulaire employé par les grands maîtres du 17e siècle?

C’est très rarement le cas chez les francophones. En revanche, outre-Rhin, on est moins prudent avec les textes classiques. Il suffit pour s’en convaincre d’aller au Théâtre de Vidy. Le metteur en scène allemand Nicolas Stemann y joue jusqu’au samedi 24 septembre une pièce de Lessing, un auteur germanique du 18e siècle. Il en a changé le titre, passant de "Nathan le sage" à "Nathan!?". Plus que ça: il a inséré chez Lessing des textes de l’auteure contemporaine et Prix Nobel autrichienne Elfriede Jelinek. Du coup, Nicolas Stemann fait basculer cette histoire du temps des Croisades au… massacre du Bataclan. Pour le metteur en scène de Berlin, il faut "questionner"  les classiques, sinon le théâtre "risque d’être mort et le texte seul ne parle pas". Il faut le remettre en perspective pour le public d’aujourd’hui.

Thierry Sartoretti / aq

>> Découvrez "Nectar", du lundi au jeudi à 12h sur Espace 2 et sur : RTS Play

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