Dada est un mouvement artistique qui s'est opposé à la folie de la guerre 14-18 en inventant une autre folie: absurde, humoristique, provocante, grinçante et bruyante. Dada est né à Zurich, au Cabaret Voltaire, puis s'est répandu dans les capitales culturelles de l'Europe d'alors. Il a tout embrassé, tout embrasé: la peinture, la sculpture, le théâtre, l'écriture, la photographie, etc.
Aujourd'hui Dada, ce sont essentiellement des œuvres dans des musées, des livres d'histoire et des catalogues. Cependant, du côté des arts vivants, ces derniers mois, plusieurs théâtres romands ont rendu hommage au mouvement de Tristan Tzara, Hugo Ball, Apollinaire et consorts.
Le spectateur est bousculé
Au Théâtre Amstramgram, le spectacle "Ça Dada" est proposé à un public dès 6 ans et sans limite d'âge supérieure. Plutôt qu'une pièce didactique ou pédagogique racontant l'histoire de ce mouvement artistique ou tentant d'en reproduire certains happenings d'époque, "Ça Dada" est un formidable et tonitruant chaos scénique qui plonge les jeunes spectateurs au cœur même de l'esprit Dada. Mieux, il les inclut en leur offrant la possibilité de participer avec leurs cris à un incroyable exutoire.
Ce spectacle ne peut pas entrer dans un cadre conventionnel tel que théâtre narratif ou classique [...] L'inconfort est au centre de la salle. Le spectateur est bousculé, il faut qu'il le soit. Le centre n'est pas cette fois-ci le centre du plateau, mais bel et bien le centre du théâtre. Et nous n'allons pas "faire du théâtre". Nous bricolerons avec le théâtre, nous nous cognerons au théâtre, nous taillerons dedans, le découperons en morceaux, le serviront à l'envers, nous tenterons de le mettre en péril.
La déclaration d'Alice Laloy tient du manifeste. Et sa création "Ça Dada", magnifiquement servie par des comédiens au talent burlesque digne de Buster Keaton, est le plus beau des hommages que l'on pouvait faire au mouvement Dada.
Explosions et destruction du décor
Que se passe-t-il dans la salle du Théâtre Amstramgram? Un joyeux bazar. Les comédiens interpellent les enfants, lancent des messages avec une fronde, s'aspergent de peinture, détruisent un premier décor, puis un second. Il y a de la fumée, des explosions, du noir, des chevaux, du bruit, des objets qui tombent et se balancent, des mannequins désarticulés, des slogans, des jeux participatifs… un chaos permanent qui invite les enfants à manifester à leur tour leur énergie.
Jour de première devant un public de classes du primaire, les enfants âgés de huit ans ont adoré. Deux maîtresses ont toutefois fait quitter la salle à leurs élèves en plein spectacle, par peur de la perte de contrôle et par crainte que les bambins ne soient effrayés par cette révolution scénique. Elles ont eu tort. Les enfants qui devaient partir ne comprenaient pas ce qui leur valait cette privation. Et ceux qui sont restés ont adoré cette découverte du monde de la performance.
De mémoire de critique de théâtre, jamais jeune public n'a été aussi enthousiaste dans une salle de théâtre. Et ça, c'est le pouvoir intact de Dada, cent ans après son invention.
Thierry Sartoretti/ld
"Ça Dada", Théâtre Amstramgram, Genève, jusqu'au 12 mars.