Il n'y a pas que le film "À Bras ouverts" pour imaginer une grosse farce sur les différences culturelles entre Européens nantis et miséreux balkaniques. Dans "Alpenstock", il ne s'appelle pas Babik, comme dans le film français "À bras ouverts" sorti ce mercredi sur les écrans, mais Jozip…
Cette farce théâtrale est également française, écrite par l'écrivain Rémi De Vos. Elle connaît un beau succès sur les scènes francophones: il y a quelques mois, c'était la metteuse en scène romande Sandra Amodio qui créait son "Alpenstock" à Carouge. Aujourd'hui, voici au Théâtre Le Poche de Genève, une version belge. La pièce originelle date du début des années 2000 et fut écrite en réaction au succès du leader autrichien populiste Jörg Haider.
Dans l'esprit grand guignol
Mise en scène par les Belges Axel de Booseré et Maggy Jacot, "Alpenstock" cultive un esprit grand guignol avec des personnages aux costumes caricaturaux et aux mimiques appuyées. Fritz le mari ressemble au Hitler des films série B de Russ Meyer: regard fiévreux, mèche sombre et aboiements de rigueur. Madame Grete porte la perruque blonde des gretchen et les gants en caoutchouc de la parfaite ménagère. Quant à Jozip, l'étranger, il a tout du Haïdouk roumain avec son grand manteau, sa peau brune, son accent de cailloux qui roulent et sa pilosité avantageuse. Ce ménage à trois va basculer dans le sang et l'eau de javel pour effacer une invraisemblable suite de meurtres au domicile des deux tourtereaux du propre en ordre.
Le trait est gros, très gros, rigolo aussi. Si la mise en scène est alerte, le texte de cette pièce laisse toutefois un sentiment mélangé une fois le rideau tiré.
Une pièce qui interpelle
Avec "Alpenstock", Rémi De Vos se moque des racistes et de cette manie à vouloir se protéger coûte que coûte du métissage. Il emploie cependant les mêmes ressorts comiques, les mêmes clichés que les blagues racistes les plus éculées. Sa pièce est aussi d'une misogynie formidable: prenez Grete, la femme, elle est juste bonne à poutzer et à se faire saillir. Quant à l'étranger, il parle français bizarre (à peine moins cliché que le Babik tsigane du film "À bras ouverts"). Il pue l'ail, suinte le gras de mouton, ne pense qu'à forniquer et a un nombre invraisemblable de cousins bien sûr tous identiques et tous déterminés à bourrer Madame Grete qui n'attend que ça.
Le rire serait-il différent lorsqu'il se déploie au cinéma ou au théâtre? D'un côté, les hauts le cœur de la critique qui crie au racisme et fusille le film "À bras ouverts" de Philippe de Chauveron qui réduit les Roms à une bande de voleurs de poules opportunistes lâchés chez des gauchistes de salon. Et de l'autre, cet "Alpenstock" qui brocarde sans scandale médiatique les racistes alpins avec tous les clichés que les Latins attribuent aux Germaniques et ce personnage d'étranger balkanique érotomane pouilleux qui colle parfaitement aux clichés des populistes racistes… Au-delà de ses blagues, "Alpenstock" est une pièce de théâtre qui interpelle autant qu'elle fait rire.
Thierry Sartoretti/ld
"Alpenstock", Théâtre Le Poche, Genève, jusqu'au 12 avril.