Il s'appelle "Seuls". Au pluriel. Car Harwan, étudiant immigré à Montréal, est bien accompagné dans sa solitude: il y a sa sœur Leila, son père qui regrette le Liban d'avant et cette thèse au parfum de quête existentielle. Créé en 2008, ce spectacle de Wajdi Mouawad débute comme une conférence, se transforme en documentaire, bascule dans la tragi-comédie et se termine en apothéose de peintures et de couleurs avec un comédien devenu tableau vivant.
Résumer "Seuls" relève de l'exploit tant ce spectacle déborde le cadre strict du théâtre. Au texte, au jeu, viennent s'ajouter un usage remarquable de la vidéo, du son et surtout une performance physique d'acteur qui transforme "Seuls" en une sorte de manifeste créatif.
Auteur, metteur en scène, comédien, écrivain, l'actuel Directeur du Théâtre de la Colline à Paris livre-là une œuvre majeure sur la question de l'identité. Indispensable.
Thierry Sartoretti/ld
"Seuls", Théâtre Vidy-Lausanne, jusqu'au 3 juin.
Encore une polémique contre la création contemporaine
Ces derniers jours, le landerneau théâtral lausannois a frémi avec une (énième) querelle entre anciens et modernes. Pour certains, il y aurait trop de création contemporaine (comprenez pluridisciplinaire, mêlant théâtre, danse et arts plastiques) au détriment d'un pur théâtre de texte (comprenez les auteurs classiques joués à la lettre).
C'est oublier que l'écriture théâtrale avance avec son temps. Un temps qu'elle questionne et interpelle avec des auteurs d'aujourd'hui, comme d'autrefois. C'est oublier que le théâtre ne se résume pas à un texte, si puissant soit-il. La preuve par "Seuls" de Mouawad, écriture remarquable et spectacle fabuleux, précisément parce qu'il va au-delà de la simple interprétation d’une parole imprimée.
De même, il est possible de revisiter les répertoires de Molière ou de Marivaux pour les faire résonner (raisonner) avec notre époque. Il y aurait moins de place aujourd'hui pour les artistes de la scène qui se contentent d'appliquer des recettes théâtrales reproduites à l'infini depuis cent ans?
Tant mieux. Qu'ils fassent preuve de créativité, de remise en question, aiguillonnés par cette création contemporaine qui les bouscule. Les portes des théâtres d'aujourd'hui leur seront ouvertes aussi.