Il débarque en classe la bouche en cœur: "Je m'appelle Romain Daroles, toutefois ce n'est pas chez les Romains que nous allons nous rendre ensemble, mais chez leurs collègues antiques, les Grecs." Ebahissement des élèves devant ce zozo qui s'exprime de manière fort châtiée tout en alignant les calembours avec un accent qui chante ses origines toulousaines.
Une conférence-cours-pièce de théâtre
Nous sommes au gymnase de la Cité, à Lausanne. Deux classes de français ont pris place dans la même salle pour écouter "Phèdre!". Phèdre avec un point d'exclamation. "Une pièce de théâtre contemporaine, une comédie, qui met en scène une façon de professeur qui, prétextant parler justement de cette pièce (…) finit par raconter de façon plus ou moins enjouée, une autre pièce (…) Phèdre de Jean Racine", explique Romain Daroles.
Sur les pupitres reposent les exemplaires Folio classique de la pièce de Racine. Les étudiants suivent le conférencier avec des mines interrogatives. Ce qu'il déclare, est-ce déjà une pièce de théâtre? Ou est-ce un cours introductif sur la plus célèbre des tragédies du théâtre français?
Un théâtre d'hyper-proximité
De la tragédie, Romain Daroles passe à la mythologie, cette dernière expliquant le couple mal assorti Phèdre-Thésée. "Thésée s'en va par monts et par vaux – et même par taureaux – puisqu'il se rend en Crète pour combattre le Minotaure, ce monstre mi-homme mi-taureau né des amours, disons "sauvages" de la belle Pasiphaé et – ma foi, eh oui, ça arrive – d'un taureau. On ose imaginer l'accouchement…" Les élèves rient, piquent un fard, se regardent les yeux écarquillés, mais ils ne mouftent pas. Captivés.
Romain Daroles ne se contente pas de raconter l'histoire de cette reine Phèdre qui aime son beau-fils Hippolyte, qui lui aime Aricie, que son papa Thésée déteste. Romain Daroles récite par coeur les vers en alexandrin de Racine avec une faconde qui les rend irrésistibles. Quand le comédien s'approche des pupitres et questionne certains élèves sur les transports sentimentaux des personnages, les visages deviennent écarlates. Le théâtre d'hyper-proximité, c'est une sacrée expérience physique.
La conférence-cours-pièce de théâtre dure 1h30, soit deux périodes de classe. Le mot "fin" s'écrit à la craie sur le tableau noir et sous un tonnerre d'applaudissements. A l'issue de "Phèdre!", nous avons ri et surtout nous avons appris. Notamment ceci: le théâtre est une matière vivante. Formidablement vivante.
Thierry Sartoretti/ld
Un "Phèdre" taillé sur mesure par François Gremaud
On doit au metteur en scène fribourgeois François Gremaud ce "Phèdre!" taillé sur mesure pour le comédien Romain Daroles. Amoureux de cette pièce qu'il a découverte durant ses études, sollicité par le Théâtre de Vidy-Lausanne pour un spectacle scolaire, François Gremaud a souhaité mêler sa passion pour cette oeuvre classique ("Phèdre" a été écrit voici 340 ans) et son goût pour une écriture contemporaine à la fois lisible, ironique et décalée.
Hormis "Phèdre!" joué exclusivement dans les classes de l'enseignement secondaire vaudois et genevois, François Gremaud et sa 2B Company sont notamment les auteurs de "La Conférence de chose", un monologue qui peut varier d'une à huit heures selon les versions. Porté par un autre complice, le comédien Pierre Mifsud, la Conférence triomphe en ce moment même au Théâtre du Rond-Point à Paris après avoir réjoui le public du Festival d'Avignon et de nombreuses salles en Suisse et en France.
Pour celles et ceux qui n'ont pas la possibilité de se rendre à Paris ou de reprendre illico des études au collège, il existe une séance de rattrapage. En juin, le Théâtre de Vidy-Lausanne proposera une "Rétropresqu'tive" des œuvres de la 2B Company. "Phèdre!" et "La Conférence de chose" y figurent.