Ils sont en avance au théâtre. Largement en avance. Du coup, les voici plantés comme des poireaux assis sur les fauteuils capitonnés d’une salle. Elle s’est trompée d’heure, il sera ravi de le lui reprocher. Ils attendent la représentation des "Contes de la Forêt viennoise" d’Odön von Horváth et ça n’a pas trop d’importance. L’important ce sont ces deux spectateurs, le vieux couple, comme on dit. Un couple désormais soudé dans la dispute et l’amertume, toujours ensemble, passablement aigri.
De l’amertume, des disputes, un peu de rires, au programme
Schéma classique : il se sent brimé par Madame dès qu’il rêve d’un petit verre de blanc sous la tonnelle. Et Madame n’en peut plus de se trimbaler ce mari qui n’a de cesse de la faire passer pour une rabat-joie. Ils sont retraités, bien sûr. On ne sait pas ce qu’il a bien pu faire de sa vie. Quant à elle, elle était prof, de français, aimant le théâtre plus que ses enfants, qu’elle considère aussi raté l’un que l’autre.
"Automne" débute comme un règlement de compte. On rigole un peu. C’est acide, sec, assez lent. Un tempo normal chez des gens qui ont épuisé depuis longtemps leur capital d’empathie et de découvertes partagées. La curiosité a cédé le champ au rabâchage, au rituel de la dispute ou du silence qui en dit long.
Et subitement, tout bascule. Madame a un aveu à faire : l’annonce d’une maladie incurable : "Je vais tout oublier bientôt. Et toi aussi je vais t’oublier."
En quittant une écriture dramatique, voire apocalyptique, pour aborder la vieillesse et l’amour, Julien Mages livre un texte qui fait mouche et laisse au public sa part de réflexion.
Dans les travées de la salle de spectacle, passé les rires devant les escarmouches du couple incarné par Jacques Michel et Yvette Théraulaz, on sent la tension de celles et ceux que cette histoire à la fois banale et terrible happe comme une réminiscence ou un cauchemar.
Couple vaudois pour oser la proximité
La mise en scène de Jean-Yves Ruf, tout en douceur et en finesse, accompagnée de quelques échos lointains créés par Fred Jarabot porte à merveille ce texte qui parle d’intimité et ose la proximité géographique.
Oui, ce couple est romand, vaudois, même. Ce qui ne le rend pas moins universel. L’automne chacun, chacune va le vivre une dernière fois. De quoi sera-t-il fait ?
Thierry Sartoretti/jd
"Automne", de Julien Mages, Théâtre du Grütli, Genève, jusqu'au 18 mars, Théâtre de Valère, Sion, le 20 mars, Théâtre du Pommier, Neuchâtel, le 27 mars, La Grange de Dorigny, Lausanne, du 12 au 15 avril