Merci Charlotte. On doit à la petite-fille des comédiennes Claude-Inga Barbey et Doris Ittig l'existence de cette nouvelle version théâtrale pour baudruches, pailles en plastique, briques Kapla et cubes Duplo du célèbre conte des Trois petits cochons.
Derrière un spectacle, il y a parfois la promesse de deux grands-mères à une petite fille qui apprécie les contes qui se terminent bien. Le méchant est puni, l’imprévoyant aussi et le vertueux reçoit récompense pour ses efforts.
Les enfants et la peur
"Peu importe si les deux premiers cochons sont dévorés par le loup, l'important c’est le sort du cochon bâtisseur. Avec sa maison de briques, sa cheminée solide et sa marmite pleine d’eau bouillante, il se tire d’affaires et punit le loup par sa prévoyance et sa ruse. Les enfants s’identifient à ce troisième cochon qui représente l’être humain devenu adulte. Les deux autres cochons, celui de la maison de paille et celui de la maison de bois représentent les stades de bébé et d’adolescent", analyse une Claude-Inga Barbey à la voix malmenée à force d’avoir incarné Bruno, le cochon bâtisseur et fort de caractère.
Peu importe si les deux premiers cochons sont dévorés par le loup, l'important c’est le sort du cochon bâtisseur
Et le loup, n’a-t-il pas aussi ses fans qui vont regretter son trépas? "Les enfants adorent avoir peur. Quant à celles et ceux qui préfèrent le loup dans cette histoire, mieux vaut s’en méfier, c’est de la graine de psychopathe et de tueur en série." Elle a beau avoir écrit ces "Petits cochons 3, le retour" à destination d’un public dès 4 ans, Claude-Inga Barbey ne perd jamais son humeur corrosive et son humour cinglant.
Un conte pour rire
Claude-Inga Barbey (par ailleurs auteure du texte), Doris Ittig et Rémi Rauzier jouent les trois nourrains et quelques autres piquants personnages dans une scénographie malicieuse et ludique.
Petit ou grand, on rit énormément dans ce spectacle qui balancent quelques blagues pétomanes de préau qui font immédiatement hurler les enfants. Les adultes accompagnant ont également droit à leur lot de piques et de jeux de mots. Petit, on est aussi impressionné, voire délicieusement pétrifié devant ce loup incarné par Rémi Rauzier dont les griffes feraient pâlir Freddy Krueger, vieil épouvantail nocturne du cinéma d’horreur. Des griffes, il en faut bien pour faire exploser les ballons et ces nigauds de petits cochons aux rondeurs de baudruches.
La magie du loup
En 1933, Walt Disney, dans un souci de divertissement familial et de message universellement positif, ne condamnait personne à mort dans son dessin animé de 8 minutes, un tube immense avec sa chanson "Who’s afraid of the big bad wolf" ("Qui a peur du grand méchant loup?). Les deux premiers cochons se réfugient chez le troisième après que le loup a détruit leur masure. Quant au canidé, il s’enfuit simplement dans la forêt, puni par une bonne brûlure aux fesses. Il n’empêche que ce conte garde son mordant et sa force d’évocation même lorsqu’il est édulcoré.
La chanson du loup a inspiré l’étouffante pièce de théâtre de l’Américain Edward Albee "Who’s afraid of Virginia Woolf" et c’est en répétant les mots de ce loup-là que Jack Nicholson veut assassiner sa famille dans le film "Shining".
Sur la scène du Théâtre de marionnettes de Genève, pas de jambon tranché jusqu’à l’os ou de loup dépecé par un chasseur, mais un conte archi-connu qui garde ici toute sa force, sa magie et sa bonne humeur. Pauvre loup! Qui n’a pas fini d’incarner le mal et de hanter, pour des décennies encore, l’inconscient collectif…
Thierry Sartoretti/boi