Dans le pavillon de Vidy-Lausanne, ils sont six danseurs sur une vaste scène recouverte d’un immense drap blanc. Quatre hommes, deux femmes, vêtus de blanc eux aussi. Ils marchent, dansent et prennent des poses de groupe qui rappellent des tableaux baroques: mise au tombeau du Christ, processions de pénitents, scène d’afflictions. Puis ces arrêts sur images deviennent plus récents: statues de partisans, monuments révolutionnaires, photographies de guerre…
Une symbiose entre danse et musique
Un début de spectacle dans la douleur. Ce blanc serait celui du deuil. Mais bientôt le drap s’en va. Il glisse sur la scène et drape les danseuses comme des princesses de contes. Il tombe également des parois de la scène, révélant trois murs à la couleur cuivrée et vibrante.
La scène est une gigantesque antichambre. Le purgatoire? La musique se fait plus vive, les danses plus rapides, moins symboliques aussi. Chacun des six ne danse pas sur la musique, il EST un élément de la musique, un rythme, un son, la partition gestuelle d’une vibration sonore. Cette symbiose est simplement saisissante par sa précision et sa justesse.
Un hommage à Mika Vainio
"Speechless Voices" est un hommage au musicien finlandais Mika Vainio, cofondateur du groupe électronique expérimental Pan Sonic. La chorégraphe Cindy Van Acker et lui ont longtemps collaboré, sont devenus des amis proches. Mika Vainio est décédé l’an passé dans un accident. Musicien et chorégraphe partageaient un langage commun et une quête d’absolu et de transcendance: "Nous avions une communication intuitive, intense, souvent sans mots" se souvient Cindy Van Acker.
Une expérience de deuil partagé
"Speechless Voices" est l’écho de ce dialogue. Et sur scène, le Finlandais est omniprésent. Ce spectacle va au-delà de l’hommage. C’est une conversation médiumnique, Orphée descendu aux Enfers pour retrouver son Eurydice. Dans les gradins, combles, du public du Festival de danse Steps, pas un bruit. L’attention, l’émotion, sont littéralement palpables.
CINDY VAN ACKER "Speechless Voices" du 13 au 15 avril // TEASER from Théâtre Vidy-Lausanne on Vimeo.
Rarement spectacle de danse contemporaine n’a atteint une telle intensité. A la sortie de "Speechless Voices", des spectatrices se sont embrassées, certains ont pleuré. Saisissante expérience d’un deuil partagé avec un public, d’une douleur qui précède une forme de transcendance lors d’une ronde finale où les six danseurs et danseuses, parés de bijoux comme les officiants d’une cérémonie entament une ronde embrasée par la "Passion de Saint-Mathieu" de Jean-Sébastien Bach.
Public heureux et allégé
Dans ce spectacle rare, peut-être le plus touchant jamais chorégraphié par la Genevoise Cindy Van Acker, il y a un "je t’aime", un poème d’amour à l’ami, à l’art et à la vie. A l’issue de ces "Voix sans paroles", le public était comme au sortir d’un bel enterrement. Heureux et allégé. Lié par un lien invisible. Reconnaissant aussi.
Thierry Sartoretti/aq
"Speechless Voices" de Cindy Van Acker tourne dans le cadre du Festival Steps. A Vernier, salle des fêtes du Lignon ce mardi 17 avril. A Bâle, Kaserne, les 20 et 21 avril. A Berne, Dampfzentrale le 24 avril. A Zürich, Gessnerallee le 27 avril. A Moutier, Aula de Chantemerle, le 29 avril.