Le Soleil n'était plus apparu en Suisse depuis les années 1970. Directeur du Théâtre TKM, Omar Porras en rêvait: inviter l'une des artistes qui l'a influencé dans sa carrière de metteur en scène. Voici donc le retour d'Ariane Mnouchkine (septuagénaire très alerte) et de son Théâtre du Soleil (que l'on ne confondra pas avec le Cirque québécois du même nom). Soit une part de l'esprit de Mai 68 restée vivant dans le théâtre français.
Une troupe qui crée depuis 1969 (première dans un Festival d'Avignon secoué par les grèves et les occupations) des spectacles à la fois populaires, militants et ouverts sur le Monde. Pour accueillir le Soleil, il a fallu créer une association ad hoc, fédérer la crème des théâtres romands, les pouvoirs publics et trouver des soutiens privés. On parle ici d'un budget à 2 millions.
Parler de l'état du Monde
Cette "Chambre en Inde" est une gageure. Voici une comédie qui aborde à la fois les attentats de Paris, la guerre en Syrie, la lutte pour l'égalité des genres, la pauvreté, la guerre de l'eau, les théocraties, et plus encore… Plus de trois heures de spectacle et l'histoire de Cornelia qui doit remplacer un metteur en scène nommé Lear pour parler de l'état du Monde… Rien de moins. Appelons ça du théâtre épique qui raconte son époque. Et si la pièce porte le titre "Une chambre en Inde", c'est qu'elle a été précisément créée dans ce pays lors d'une longue résidence du Théâtre du Soleil au lendemain des attentats du Bataclan.
Dans leur bagage, Ariane Mnouchkine et ses compagnons avaient une série de questions: comment continuer? Peut-on encore rire? De quoi? Avec ou contre qui? A Lausanne débarquera une troupe de 65 personnes, dont 34 comédiennes et comédiens. Avec pour but de recréer dans la Halle 7 de Beaulieu cet esprit particulier, ce lieu mythique du théâtre français, La Cartoucherie de Vincennes.
Un théâtre d'inspiration orientale
C'est là que sont nés des projets mythiques, pièces de Shakespeare traversées d'inspiration orientale ("Richard II", "Henri IV", "Macbeth"), un film fleuve resté fameux ("Molière") des classiques grecs revisités en taille extra-large ("Les Atrides d'Eschyle") et des sagas politiques (de 1789 à "L'Histoire terrible, mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge").
Les années du phalanstère collectiviste ont cédé la place à une organisation plus traditionnelle de la troupe. Mais l'esprit "Soleil" est resté, notamment la création en commun, les préparatifs au vu du public et un penchant pour le masque, le maquillage et les pratiques théâtrales de l'Orient.
Thierry Sartoretti/ld
"Une chambre en Inde" du Théâtre du Soleil, à voir au TKM de Lausanne, du 24 octobre au 18 novembre.