1983, vous vous souvenez? Le groupe Indochine chantait: "Des garçons au féminin, des filles au masculin". Leur tube s’appelait "3e sexe", et il avait, à sa sortie, un petit air de scandale à l’échelle de la culture populaire d’alors: "J’aime ce garçon aux cheveux longs… des robes longues pour tous les garçons… "
Le théâtre, lui, n’a pas attendu les années 80 pour multiplier les combinaisons de genres. Idem pour l’opéra. Sur les planches, et ce depuis plus de 2500 ans, un individu, c’est d’abord une infinité de possibilités (d'identités, de sexualités planquées sous les conventions). Et pas seulement en Occident. A l’heure des revendications et des questions identitaires LGBTQ, on a un peu oublié que le travesti, sur les planches, a longtemps été un modèle, accepté, assimilé pour ne pas dire normé, voire passe-partout (en apparence du moins).
La preuve ces jours-ci à l’Opéra de Lausanne qui donne "La Donna del Lago" de Rossini, à voir jusqu'au 29 avril, dans une mise en scène du contre-ténor star Max Emanuel Cencic. Ce dernier y chante le rôle de Malcolm, amoureux dont le cœur bat pour la belle Helena. Et alors? Et alors, comme Cencic l’a expliqué aux caméras de "La Puce à l'oreille", c’est la première fois que dans cet opéra, pourtant créé en 1819, un interprète mâle tient ce rôle masculin, qui a toujours été chanté par… une femme.
Au début du XIXe siècle – mais pas que – , de nombreux personnages masculins étaient en effet interprétés par des chanteuses travesties. Les voix dites féminines étaient perçues comme plus aptes à signifier la pureté, la noblesse, la générosité, alors que les timbres graves étaient, par convention, parfois associés à la force, à la violence, au pouvoir oppressant voire à une forme de bassesse.
Justement, dans l’opéra de Rossini, des trois hommes qui s’affrontent pour conquérir le cœur de la belle Helena, Malcolm est le plus pur, le plus éthéré. Son rôle est dès sa création attribué à un femme au registre de contralto. CQFD.