Sacré Will! Que celles et ceux qui se sentent rassurés par la simplicité du théâtre d’antan, se replonge dans le texte du "Songe d’une nuit d’été" de Shakespeare. Ça se passe dans une forêt, la nuit, en plein été. Pour le reste, on nage en plein brouillard avec une action si complexe qu’on peut se demander si en l’an 1600, le grand dramaturge anglais n’avait pas récolté des champignons qui rendent zinzin quelque part au fond de cette forêt.
Une vingtaine de personnages
Jugez plutôt! Dans l’original, s’entremêlent plusieurs histoires: la cour du roi d’Athènes avec le mythique Thésée, un couple de dieux des bois qui se chamaillent pour une histoire d’enfant, quatre amoureux qui jouent à je t’aime moi non plus, une bande d’artisans qui veulent monter une tragédie et la répéter en plein bois et ce malicieux Puck, sorte de lutin, qui sème la pagaille avec des filtres d’amour administrés au petit bonheur la chance…
Allez tenir un auditoire avec un scénario aussi emberlificoté! A l’opéra comme au théâtre, le "Songe d’une nuit d’été", avec sa vingtaine de personnage, est tout bonnement une gageure.
Le duo Joan Mompart et Philippe Gouin
Voici qu’arrive Joan Mompart, metteur en scène, comédien, homme de troupe, bateleur d’estrade qui trouve un Puck à sa mesure: Philippe Gouin. Ces deux-là ont ferraillé chez Maître Omar Porras, soit un adepte du théâtre de saltimbanque, de l’action, des merveilles, du mystère et de la vigueur. Approchez Mesdames et Messieur, Shakespeare n’a qu’à bien se tenir! Cette paire n’a pas de souci à recréer l’atmosphère bondissante et irrévérencieuse de la comédie élisabéthaine.
Mais il lui faut aussi une troupe solide pour secouer cette histoire: Marie Druc en fée Titiana éprise d’un bourricot, David Casada, Florian Sapey, Mélanie Bauer et Magali Heu pour incarner les amoureux qui se courent après dans les fourrés. Les uns viennent des conservatoires à l’ancienne, les autres de la Manufacture, la Haute école des arts de la scène et son parti-pris contemporain. Le reste des personnages? On fera sans. Ou presque.
Une nuit de carnaval
Joan Mompart et sa dramaturge Hinde Kaddour ont taillé dans les frondaisons shakespeariennes. Artisans, nobles grecs, merci, on vous rappellera une autre fois. Quant aux fées et autres lutins, pfuitt les voici invisibles, simples voix derrière un rideau. Un rideau? Cela suffit pour créer une forêt nocturne. Ajoutez des éclairages habiles, un grand tas de terre humide au centre du plateau, des voiles pour incarner le mystère et vous êtes au cœur de la forêt shakespearienne.
Le Songe, c’est un peu nuit de carnaval. Les personnages avancent masqués, les hiérarchies s’inversent, les rôles s’échangent, on ne sait plus qui est qui, quoi et quoi. La malice joue à cache-cache avec la rosserie.
Joan Mompart s’amuse de ce chaos. Avec lui, les quatre amoureux du bois ne savent plus ce qu’ils doivent jouer! S’agit-il encore du "Songe d’une nuit d’été" ou de ce texte égaré sous le tas de terre, "Pyrame et Thisbé"? Les masquent changent: les personnages deviennent comédiennes et comédiens. Et le jeu amoureux se transforme en bataille d’acteurs avant de repartir dans le fil du Songe.
Voilà qui n’aurait pas déplu à ce roué de Shakespeare.
Thierry Sartoretti /aq
"Songe d'une nuit d'été", Genève, Théâtre de l’Orangerie, jusqu’au 29 septembre. Lausanne, La Grange de Dorigny, du 27 octobre au 3 novembre