Ils sont là. Devant nous. Sapés comme au début des années 90. Les années de leur mort. Leur paradis a les allures impressionnantes, mais pas très glam, d’une station de métro, avec ses piliers de béton et d’acier, son carrelage blanc, sa pub éclairée au néon et ses bancs colorés en plastique.
Ces idoles fauchées trop tôt
Il y a les metteurs en scène (Bernard-Marie Koltès et Jean-Luc Lagarce), les hommes de plume (Hervé Guibert et Serge Daney), le cinéaste (Jacques Demy) et le beau gosse qui vivait à cent à l’heure (Cyril Collard). Premier point commun: ils sont "Les Idoles" de Christophe Honoré. Ces mentors l’ont accompagné sur les chemins du cinéma, du théâtre, de la pensée et de la perception de son homosexualité. Deuxième point commun: tous sont morts du sida.
>>> A écouter, l'interview de Christophe Honoré au 12:45:
Ils s’adressent à nous, ces disparus. Ils sont bien vivants. Ils parlent également entre eux, se racontent, échangent leurs points de vue, se chamaillent ou se font chambrer par une intruse: l’actrice Elisabeth Taylor, Américaine, femme, hétéro, grande militante des galas de charité. Elle les bouscule, ces jolis intellectuels parisiens: qu’avez-vous accompli pour faire avancer la cause? Qu’avez-vous entrepris pour favoriser la recherche médicale, lutter contre la honte et la terreur qui ont marqué les premières années de la pandémie? Pourquoi n’êtes-vous pas sortis dans la rue, dans les médias?
Certains hommes interprétés par des femmes
Nous sommes au théâtre de Vidy, lieu de création de ce spectacle. Pas dans un documentaire d’archives et certainement pas dans la réalité. Certains personnages sont d’ailleurs interprétés par des comédiennes. Se souvenir des "Idoles" de Christophe Honoré, ce n’est pas réactiver le passé, mais créer une fiction, jouer maintenant, aujourd'hui, quand bien même la pièce est parfaitement documentée, reprenant des citations ou des interviews des protagonistes.
Le métissage idéal
On découvre leurs paroles d’autrefois, bien vivaces, mêlées aux rêves du metteur en scène Christophe Honoré. Ainsi, ce tournage fictif où Jacques "Parapluies de Cherbourg" Demy tourne avec Bernard-Marie - "Dans la solitude des champs de coton" - Koltès une scène mythique de… "Saturday Night Fever". C’est vrai qu’il était plutôt canon dans ce film, John Travolta…
Léger comme un numéro de claquettes
Les "Idoles" sont-ils un pur hommage de fan, un mausolée à la gloire des chers disparus? Pas que. D’abord, Christophe Honoré sait prendre ses distances, rire des coquetteries et des travers de ses héros qui sont aussi des divas. Ce spectacle est également un regard sur une époque, une maladie et sur les réactions de la société d’alors face à cette maladie apparue comme une "punition divine" pour les homosexuels et les junkies.
"Les Idoles" est-elle une pièce grave? Oui, mais. Tour de force, elle est aussi drôle, légère, musicale, surprenante, comme un numéro de claquettes ou une chanson de Bob Marley. Rarement 2h30 ont filé si rapidement.
Thierry Sartoretti/mcm
Christophe Honoré, "Les Idoles", Théâtre de Vidy-Lausanne jusqu'au 22 septembre