Le principe est jeune comme l’Antiquité: la conversation. Brigitte Rosset et Frédéric Recrosio, amis à la scène comme à la ville, conversent entre eux et parfois même avec le public.
"J'ai un ami qui..."
Leur duo "Les Amis" avance avec une double propulsion. D’abord le principe de la liste qui s’énonce avec la phrase "j’ai un ami qui…", mode cher aux youtubeurs passés champions dans le ranking des pires ou des meilleurs potes. Ensuite, "Les Amis" s’offre des apartés personnels: "chère Brigitte, je voulais te dire… Au fait, Frédéric, tu…" où les biographies et traits de caractère des deux humoristes servent de grain à moudre pour chaque partenaire. Pour faire court, elle est plutôt fêtarde, borderline et joyeuse en société. Lui reçoit avec plaisir ses amis chez lui, mais ses angoisses en matière de cuisine le rendent parfois insupportable…
Aux spectateurs de trier la réalité de la fiction, mise en scène par un autre ami humoriste, Jean-Luc Barbezat. Aux amis du duo (ils sont nombreux) de tenter de se reconnaître derrière le jeu de personnages allant du flippé à l’insupportable partenaire, de celui qui pue de la gueule à celle qui envoie toujours une carte postale à chaque anniversaire, etc.
Que voit-on sur scène? Un tapis rouge qui va surtout servir à dissimuler ce morceau pâté Richelieu trop indigeste pour Brigitte et un chariot de boissons et amuse-gueules qui remplit sa fonction au premier degré (désaltérer les deux humoristes) et au second degré (fournir quelques accessoires de scène comestibles, comme le fameux pâté, une lasagne acidulée ou un verre de Williamine…), autant de preuves d’amour de la part du très insistant Frédéric pour qui l’amitié passe par l’estomac, voire par le gavage…
On rit, mais pas que...
On rit, oui, avec "Les Amis", mais pas que. Dérouler le thème de l’amitié, c’est aussi noter celles que l’on a perdues pour raison de fâcheries, de maladie ou de décès. A la première, le spectacle méritait encore une accélération de rythmes, des coups de folie aussi, pour sortir de ce rythme bienveillant, parfois plan-plan, de la conversation.
On pourrait aussi souhaiter que "Les Amis" égratignent un peu plus profondément, surtout quand ils relèvent certains paradoxes de la relation d’amitié comme celui d’accepter chez l’autre des défauts que l’on ne tolérerait en principe jamais, comme le racisme ou l’antisémitisme.
Ces "Amis" dressent au final un portrait de génération: une Suisse romande blanche, hétéro, plutôt quadra et au-delà, qui apprécie une bonne viande, un rouge charpenté et une bonne bouffe à la maison ou au resto. Les enfants ont grandi, le couple a déjà divorcé et les liaisons suivantes sont précaires.
Dans "Les Amis", les réseaux sociaux sont moins évoqués que la chirurgie esthétique, la cuisson du saumon ou cette proposition toute en finesse: "Tu veux piner ou on boit un verre de chasselas?" Et la nostalgie porte un prénom: Candy, l’héroïne de dessins animés japonais. Elle chantait "pour sortir des moments difficiles, avoir des amis, c’est très utile."
Thierry Sartoretti/nh
"Les Amis, misères et splendeurs du sentiment amical", en tournée en Suisse romande jusqu'en avril 2019