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A Pâques, fouetté par les Romains, Jésus arpente les rues de Mendrisio

Des habitantes et habitants de Mendrisio (TI) le 7 avril 2023 pendant la procession du Vendredi Saint. [Keystone - Pablo Gianinazzi]
Mendrisio et ses processions de Pâques / Vertigo / 5 min. / le 25 mars 2024
Les 28 et 29 mars, le bourg tessinois de Mendrisio accueille les seules processions catholiques de Pâques en Suisse. Une tradition inscrite au Patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO. Et un spectacle qui déclenche les polémiques à l'heure où grimer en noir des figurants blancs ne va plus de soi.

"A mort, à mort!" Impitoyables, les soldats romains le fouettent avec des branches alors que des enfants portent clous et marteaux. Barbu, la trentaine comme il se doit, Jésus traverse péniblement les ruelles de Mendrisio en portant sa grande croix de bois. Trompettes, tambours et sabots des chevaux font trembler les pavés du Borgo. Oui, ce jeudi 28 mars 2024 dès 20h45, Jésus se trouve (aussi) au Tessin: à suivre ou regarder passer à l'occasion de la Funziun di Giüdee, la procession des juifs, en patois du Mendrisiotto. Cette année, les processions ont finalement dû être annulées pour cause de mauvais temps.

Avec ses deux cent cinquante personnages dont quarante cavaliers, c'est l'unique procession catholique de Pâques sur territoire helvétique. Une tradition qui remonte au moins au XVIIIe siècle. Plus ancien encore et agendé pour le lendemain vendredi 29 mars dans ces mêmes ruelles et à la même heure, l'Entierro (soit l'enterrement, en castillan) va rassembler près de sept cents figurants costumés dont quatre cent cinquante porteurs de trasparenti, des sortes de grandes lanternes à motifs religieux. Autant la première procession est bruyante et théâtrale, autant la seconde est grave et recueillie.

Rejouer la Passion du Christ

Tout Mendrisio ou presque a au moins participé une fois aux processions, des plus jeunes aux plus âgés, et l'événement draine la foule. C'est à la Fondation pour les processions historiques de Mendrisio qu'incombe l'organisation, le casting et la mise en scène de ces deux cortèges rejouant la Passion du Christ. Oui, mise en scène, avec direction d'actrices et d'acteurs, car il s'agit bel et bien d'une forme de théâtre de rue XXL à caractère religieux.

Chaque personnage a sa fiche décrivant son physique, son rôle et son jeu. En 1898, année du centenaire officiel de la Funziun di Giüdee, les costumes, armes et autres casques furent commandés à la Scala de Milan. Certains accessoires sont encore en service aujourd'hui. Et si le lendemain, la procession porte un nom venu d'outre-Pyrénées, cela provient peut-être du fait qu'au XVIIe siècle, en pleine Contre-Réforme, des troupes de théâtre espagnoles sillonnaient l'Europe catholique pour y jouer des passions et réchauffer les ardeurs des chrétiens restés sourds aux appels de Luther et Calvin.

Une tradition inscrite à l'UNESCO

Dans cette organisation parfaitement huilée et désormais inscrite au patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO, tout devrait (dé)filer droit selon un immuable rituel. Sauf que les débats actuels de société se sont invités dans la crucifixion.

Parmi les figurants, il y a en effet I Mori, les Maures, personnages de la cour d'Hérode, le roi de Judée. Des Mori incarnés par des citoyens de Mendrisio dont on peint chaque année le visage en noir cirage. Le mois passé, soucieuse de faire concorder la manifestation avec les évolutions de la société, la Fondation a annoncé la fin de ce maquillage pour éviter d'être accusée de prôner le blackface. Ce travestissement des blancs en noirs dont l'usage outre-Atlantique évoque la ségrégation raciale des Afro-Américains et rappelle ici en Europe le temps des colonies et du racisme "y'a bon Banania".

Tollé au Tessin

Raté. Avec sa décision prise sans trop de concertation, la Fondation a provoqué un tollé dans tout le Tessin. Elle a finalement décidé… de ne rien décider. Cette année encore, les Mori auront donc le visage peint. Mais promis, une grande consultation à venir après les processions devrait permettre de mieux expliquer les motivations de la Fondation, soucieuse de préserver un héritage historique tout en ne péjorant pas la réputation internationale de ces processions désormais bien intégrée dans l'offre touristique du canton transalpin.

A noter que les processions ont déjà évolué au cours de leur histoire. Naguère, c'étaient les vrais faux juifs qui avaient été jugés par les autorités trop peu chrétiens et pas assez décents pour être autorisés à arpenter les rues de Mendrisio avant la tombée de la nuit.

Thierry Sartoretti/mh

Processions de Pâques, Mendrisio (TI), les 28 et 29 mars 2024.

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