Dès 1959, la répartition des sièges du Conseil fédéral entre les quatre principales formations politiques (PLR, UDC, Le Centre, PS) du pays vise, de manière tacite, la proportionnalité des représentations politiques au plus haut sommet de l'exécutif, en rapport aux forces électorales en présence. Deux sièges sont attribués aux trois premiers partis et un dernier au quatrième parti du pays.
Excepté le chamboulement de 2008, avec l'éviction de Christoph Blocher et l'émergence du Parti bourgeois-démocratique (PBD) à l'aile gauche de l'UDC - que rejoindront à l'époque les deux conseillers fédéraux Samuel Schmid (ex-UDC) et Eveline Widmer-Schlumpf (ex-UDC) -, la formule magique n'a toujours intégré que les quatre principales formations politiques du pays.
Car selon le baromètre électoral de la SSR réalisé par l'institut Sotomo en août 2023, quelques mois avant les élections fédérales, 55% des sondés souhaitent voir une nouvelle répartition des sièges au sein du collège gouvernemental, contre 41% qui ne le souhaitent pas.
Et parmi ces sondés, ce sont les sympathisants des Vert-e-s (92% de oui) et des Vert'libéraux (79% de oui) qui y sont le plus favorables. Cette évolution est aussi plébiscitée par une majorité de l'électorat du PS (71% de oui) et du Centre (52% de oui). A l'inverse, les proches de l'UDC (55% de non) et surtout du PLR (78% de non) sont opposés à un changement de système.
Les partis écologistes dans les starting-blocks
La formule magique qui a régné de 1959 jusqu'en 2003 - la formule "2-2-2-1", avec deux sièges PS, deux sièges centristes, deux sièges PLR et un siège UDC - est passée en 2003 à une formule avec deux sièges UDC et un siège centriste. Mais ce "basculement à droite" est à relativiser quand on observe la dynamique des vingt dernières années.
A partir de 1999, et plus massivement à partir de 2007, un nouvel enjeu politique, fortement thématisé par deux nouvelles formations politiques (au niveau national, le parti écologiste suisse - Les Vert-e-s - est créé en 1983, les Vert'libéraux en 2007), s'invite sur la scène politique suisse: l'environnement.
Autour de la question climatique, l'écologie politique atteint son sommet durant les élections fédérales de 2019, avec 21% de force électorale cumulée pour les deux formations écologistes. Mais avec plus d'un cinquième du corps électoral derrière eux, les deux partis n'ont pas transformé l'essai et aucun septième Sage "vert" n'a été intégré au Conseil fédéral.
De quatre à six grands partis
En 1999, le PS, l'UDC et le PLR dépassaient tous les trois les 20% de force électorale. Le seul autre parti en présence dépassant les 10% était le PDC (Le Centre depuis 2021). Il apparaissait alors comme évident que les sept sièges du Conseil fédéral devaient être répartis entre ces quatre formations politiques.
Mais cette répartition électorale a changé depuis lors avec une montée en puissance des partis écologistes. Si ceux-ci ont perdu des plumes en 2023, le PS et le PLR se situent désormais sous la barre des 20%, alors que Les Vert-e-s (9,8% de force électorale) et les Vert'libéraux (7,6%) sont proches de la barre symbolique des 10%.
Prenant acte de leur nouvelle force électorale, Les Vert-e-s et les Vert'libéraux ont commencé à sortir les crocs ces dernières années, quitte à avoir les dents trop longues pour leurs détracteurs. "Il y a de la place pour un conseiller fédéral vert et un conseiller fédéral vert'libéral" si ces deux formations obtiennent plus de 10% des suffrages, déclarait ainsi en août 2022 le président des Vert'libéraux Jürg Grossen,
Et Les Vert-e-s, malgré leur passage sous la barre des 10% en octobre, ont tout de même décidé de présenter Gerhard Andrey dans la course au Conseil fédéral à la mi-décembre. Cette candidature a toutefois peu de chances d'aboutir, l'UDC, le PLR et Le Centre ayant même refusé d'auditionner le conseiller national fribourgeois.
Le Centre en embuscade
Les résultats définitifs des élections fédérales ont reconduit la même hiérarchie entre partis qui a cours depuis deux décennies. Le PLR et l'UDC estiment que ces élections justifieraient de maintenir la formule magique qui est appliquée depuis 2003. Le Centre les suit, mais tout en nuances.
Le 11 novembre, le président du Centre Gerhard Pfister lançait un avertissement aux conseillers fédéraux PLR. Si ces derniers se présentent tous deux à une réélection, Gerhard Pfister attend d'eux qu'ils se distancient à l'avenir de la "politique de bloc" du camp de droite. Selon lui, le "pôle de droite" au Conseil fédéral est encore moins légitime à la suite des élections fédérales.
Et si le président du Centre s'autorise un tel avertissement, c'est que son parti, s'il n'est de justesse pas passé devant le PLR en termes de force électorale (14,3% pour le PLR, 14,1% pour Le Centre), est en revanche en avance sur le PLR en termes de sièges au Parlement, avec 15 sièges au Conseil des Etats pour Le Centre contre 11 pour le PLR, et 29 sièges centristes contre 28 sièges PLR au National. Le Centre est donc le troisième parti de Suisse du point de vue des rapports de force au Parlement, malgré un soutien moins important de la population en termes absolus par rapport au PLR.
D'ailleurs, lors du baromètre électoral réalisé du 21 au 23 octobre, durant les élections fédérales du 22 octobre, à la question "Si le PLR est dépassé par Le Centre aux élections et ne devient que le quatrième groupe parlementaire, devrait-il alors renoncer à l'un de ses deux sièges au Conseil fédéral?", une majorité de 60% des personnes interrogées semblaient ouvertes à une remise en cause de la composition actuelle du sommet de l'exécutif.
Le Centre pourrait donc revendiquer un deuxième siège au Conseil fédéral, mais cette ambition ne correspond pas aux objectifs du parti à l'heure actuelle. Mais cela pourrait changer à l'avenir, a laissé entendre Maxime Moix, vice-président des Jeunes du Centre Suisse, le 21 novembre dans La Matinale de la RTS. Selon lui, lors d'une prochaine vacance, de nouvelles ambitions seront sans doute plus légitimes: "Aujourd'hui, Le Centre est clairement troisième. Cela a toujours été le mot d'ordre du PLR de dire que les trois premiers au Conseil national avaient droit à deux sièges au Conseil fédéral."
Julien Furrer