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"Dire non à sa famille n'est pas une option": témoignages de jeunes aidants issus de l'immigration

De jeunes aidants issus de l'immigration témoignent dans un reportage de SRF. [RTS (capture d'écran SRF)]
De jeunes aidants issus de l'immigration témoignent dans un reportage de SRF. - [RTS (capture d'écran SRF)]
Des milliers d'enfants et de jeunes se chargent de tâches dont les adultes devraient normalement s'occuper. Les "jeunes aidants" issus de l'immigration aident leurs parents à s'orienter en Suisse en leur servant d'interprètes, une tâche souvent sous-estimée et peu reconnue.

Shazna Leusin n'avait que dix ans lorsqu'elle et une amie de la communauté musulmane tamoule ont été envoyées à un rendez-vous chez un gynécologue. Son travail: traduire la conversation.

Mais ce que la connaissance confie à la jeune Shazna l'embarrasse: "Elle m'a dit qu'elle avait mal pendant les rapports sexuels avec son mari", se souvient aujourd'hui Shazna Leusin. En tant que jeune fille, elle était bouleversée par ces descriptions intimes et n'avait pas de mots pour les exprimer.

Un sentiment de culpabilité qui pèse lourd

Aujourd'hui encore, cette jeune femme de 30 ans effectue des traductions difficiles pour son père, qu'il s'agisse de parler aux autorités, de rédiger des lettres, de communiquer avec la compagnie d'assurance ou le propriétaire.

La mère de Shazna Leusin est décédée d'un cancer du sein parce qu'elle n'a pas réalisé de contrôles pendant plusieurs années, notamment à cause de la barrière de la langue. Aujourd'hui, la jeune femme a toujours un sentiment de culpabilité. Enfant, elle a parfois ressenti comme un fardeau le fait de devoir aider ses parents encore et encore. Neuf ans après la mort de sa mère, elle est toujours en proie à des accusations selon lesquelles elle n'en a pas fait assez.

Un enfant sur huit effectue un travail de soutien

En Suisse, on estime qu'un enfant sur huit âgé de 10 à 15 ans effectue des travaux d'assistance pour des adultes. Cela se fait souvent en cachette, surtout lorsqu'il s'agit de leurs propres parents. Sofika Yogarasa, journaliste chez SRF, se considère elle aussi comme une "jeune aidante". Enfant, elle effectuait déjà des traductions pour ses parents.

Sa famille a fui le Sri Lanka pour s'installer en Suisse dans les années 1990. Aujourd'hui, ses parents dépendent encore de temps à autre de son soutien. "Dire non n'est pas une option", explique Sofika Yogarasa. Dans une société collectiviste comme la communauté tamoule, s'occuper de la famille va de soi, même si cela implique une grande responsabilité.

Comme Shazna Leusin, la jeune femme de 28 ans a le sentiment de ne pas avoir fait assez pour ses parents. "Mes parents n'ont pas eu la vie facile. Lorsqu'ils sont arrivés en Suisse en tant que réfugiés, ils ont tout de suite dû travailler dur et beaucoup". Elle souhaite aujourd'hui attirer l'attention sur les personnes qui, comme ses parents, n'ont jamais appris l'allemand parfaitement et qui n'ont pas eu les moyens de fréquenter une école de langues.

Les traumatismes rendent l'apprentissage plus difficile

Matthis Schick, médecin-chef de la clinique de psychiatrie et de psychosomatique de l'hôpital universitaire de Zurich, confirme que la capacité d'apprentissage des réfugiés peut être réduite s'ils souffrent de traumatismes psychologiques: "Si vous avez constamment peur d'être expulsé, si vous vous inquiétez pour vos parents malades dans votre pays d'origine ou si vous ne trouvez pas de travail ou de logement, votre esprit n'est pas assez libre pour aborder le vocabulaire."

Pour ne rien arranger, les réfugiés ont souvent peu d'expérience en matière d'éducation, ce qui rend l'acquisition de la langue encore plus difficile. Il est tout à fait compréhensible que les enfants veuillent aider leurs parents, même si cette aide les dépasse parfois.

Fatigue et épuisement

Semira Abebe a elle aussi souvent atteint ses limites en tant que jeune fille. À l'âge de sept ans, elle a fui l'Érythrée pour la Suisse avec ses parents et ses quatre frères et sœurs. En tant qu'aînée, elle a rapidement appris l'allemand et a assumé de nombreuses responsabilités pour sa famille.

Lorsque ses parents ont exprimé le souhait de quitter le logement de l'asile pour s'installer dans leur propre appartement, Semira Abebe, qui avait douze ans à l'époque, a dû en faire part aux autorités concernées. "Je n'ai probablement pas traduit la conversation comme ma mère l'avait imaginé", explique-t-elle. "Elle était en colère contre moi et m'a dit que j'aurais dû faire plus d'efforts."

Comme elle, de nombreux "jeunes aidants" ont le sentiment de ne pas pouvoir en faire assez et de ne pas pouvoir répondre à toutes les demandes de leur famille. Rohan Patil, 35 ans, s'est occupé de ses parents malades pendant des années. Il les a conduits à des examens médicaux, a attendu des heures dans la voiture devant l'hôpital et a toujours été disponible pour eux. "En fait, j'ai été bloqué toute ma vie et, la plupart du temps, complètement dépassé", explique-t-il en repensant à cette période difficile.

Aujourd'hui, huit ans après le décès de sa mère, Rohan Patil a emménagé dans son premier appartement. Il voulait prendre ses distances par rapport à la maison de ses parents et à l'idée presque obsessionnelle de devoir toujours s'occuper de tout le monde immédiatement. "J'étais constamment sur le qui-vive et j'avais toujours l'impression que quelque chose pouvait arriver."

La reconnaissance: une aide précieuse

En raison du travail de soins qu'il effectuait, Rohan Patil est lui-même tombé malade. "Le stress permanent m'a souvent épuisé. Je n'en pouvais plus." Le jeune homme s'alimentait mal, ce qui lui a valu, à terme, une tumeur au pancréas.

Adolescent, Rohan Patil ne pouvait parler de sa situation à personne. Aujourd'hui, en tant qu'enseignant dans une école primaire, il s'intéresse aux enfants qui pourraient vivre des expériences similaires à la maison. Il en est convaincu: "Le simple fait de percevoir et d’apprécier leur performance peut faire une énorme différence."

Ilona Stämpfli (SRF)

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