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Entre assistance et coercition, une page sombre de l'histoire suisse mise à jour

Aufnahme eines Verdingkindes waehrend der Arbeit, aufgenommen im Jahr 1945. (KEYSTONE/Photopress-Archiv/Str) [KEYSTONE - Photopress-Archiv/Str]
Entre assistance et coercition, une page sombre de l'histoire suisse mise à jour. - [KEYSTONE - Photopress-Archiv/Str]
Le Programme national de recherche "Assistance et coercition – passé, présent et avenir" (PNR 76) expose ses conclusions à la presse jeudi 16 mai 2024. Effectué entre 2018 et 2023, comptant 29 projets de recherche et 150 scientifiques, le PNR 76 du Fonds national suisse (FNS) permet de revenir sur l'histoire de centaines de milliers de cas de violences institutionnelles manifestes prises sous prétexte d'assistance au XXe siècle.

"Des mesures prises par les autorités à l’encontre d’adultes et de mineurs – connues du public comme mesures de coercition à des fins d’assistance et placements extrafamiliaux – ont été ordonnées avant 1981 dans le cadre des services des curatelles et tutelles, sur la base de pratiques cantonales et en l’absence quasi totale de droits procéduraux", explique la présentation en ligne du Programme national de recherche "Assistance et coercition – passé, présent et avenir".

Voilà le centre névralgique des recherches du PNR 76: des mesures coercitives prises par les autorités d'assistance sociale à l'encontre de personnes physiques ont conduit à la violation de leurs droits fondamentaux.

Un héritage qui n'a pas entièrement disparu du système social suisse, selon les conclusions du PNR. Encore aujourd'hui, le droit à la participation et à l’autodétermination des personnes vivant dans la précarité ou souffrant de handicap n’est pas toujours garanti.

Violences reconnues par la Confédération

La liste des violences infligées est longue: détentions abusives (par exemple, les autorités pouvaient ordonner, sans jugement ni droit de recours, l’internement de mineurs ou d’adultes dans des établissements fermés pour une durée indéterminée à des fins de rééducation au travail); placements extrafamiliaux (notamment des mineurs issus de familles pauvres, orphelins ou nés hors mariage placés de force dans des institutions ou des familles, souvent paysannes); violences institutionnelles physiques, psychiques, médicales (comme des tests de médicaments forcés) et sexuelles (par exemple, jusque dans les années 70, des avortements et des stérilisations forcés ont été pratiqués pour des raisons sociales ou eugéniques); cas de violences analogues (maltraitances, abus, discriminations, travaux forcés) au sein de "familles d'accueil".

Depuis les excuses du Conseil fédéral en avril 2013, la souffrance infligée aux victimes de ces actes est reconnue, tout du moins pour les personnes qui en ont subi avant 1981. Un fonds de dédommagement de 300 millions de francs a d'ailleurs été mis sur pied par la Confédération.

Et, avec un budget de 18 millions de francs, c'est la Confédération qui a confié au FNS en février 2017 la mission de mettre à jour notre compréhension historique de cette tragédie (lire encadré en fin d'article).


Le projet Caregiver: un soutien pour les victimes de mesures de coercition à Berne

Le canton de Berne se distingue par le nombre élevé d’anciens enfants et personnes ayant subi des mesures de coercition à des fins d'assistance.

Le Projet Caregiver propose une plateforme en ligne où les victimes de mesures de coercition peuvent obtenir de l'aide de la part de personnes ayant vécu des expériences similaires, aidant les victimes à gérer les défis émotionnels et pratiques de la vieillesse.


Discrimination temporelle: le cas des internements forcés post-1981

Samanta, une femme tessinoise, témoigne au micro de RSI (Radiotelevisione svizzera di lingua italiana) sur son histoire, sur les souffrances et les abus subis durant un placement forcé dans les années 90. Elle lutte pour la reconnaissance par les autorités de ce qu'elle a enduré.

En effet, une législation suisse exclut les victimes d'après 1981 de toute compensation, car les placements forcés en Suisse ont "officiellement" pris fin cette année-là selon la loi.


"Les Oubliés du Bonheur": l'exposition sur les destins brisés des enfants placés

Entre 2020 et 2021, l'exposition "Les Oubliés du Bonheur" au Musée Rhétique de Coire a jeté une lumière crue sur ce chapitre sombre de l'histoire suisse. Le téléjournal de RTR (Radiotelevisiun Svizra Rumantscha) en a profité pour s'immerger dans l'exposition inédite.


Témoignages d'enfants placés

Avant 1981, en Suisse, quelque 100'000 enfants de la pauvreté ont été placés de force dans des familles ou des institutions. Ces dernières années, de plus en plus de victimes ont franchi le mur de la honte pour demander réparation. En 2014, SWI swissinfo.ch a recueilli quatre témoignages très éloquents du drame que constitue un placement forcé, à retrouver sur le site swissinfo.ch.

Julien Furrer

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Pour aller plus loin:

Le PNR 76 s'articule en trois axes consistant à: "(1) analyser les caractéristiques, les mécanismes et les effets de la politique et de la pratique suisses en matière d’assistance; (2) identifier les causes possibles des pratiques d’assistance portant atteinte à l’intégrité des personnes visées ou permettant de la protéger, au croisement entre ordre social et droits individuels; (3) étudier les conséquences des pratiques d’aide sociale sur les personnes concernées".

Les trois rapports finaux du PNR 76 sont disponibles et téléchargeables gratuitement en ligne, ainsi que la synthèse "Ingérences dans les parcours de vie":

- Christoph Häfeli/Martin Lengwiler/Margot Vogel Campanello (éd.). Entre protection et coercition - Normes et pratiques au fil du temps. 2024, Schwabe Verlag.

- Vincent Barras/Alexandra Jungo/Fritz Sager (éd.). Responsabilités brouillées - Structures, intervenant·es et mises à l’épreuve. 2024, Schwabe Verlag.

- René Knüsel/Alexander Grob/Veronique Mottier (éd.). Placements et destinée - Décisions des autorités et conséquences sur les parcours de vie. 2024, Schwabe Verlag.