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Le pouvoir des régimes autoritaires passe par le corps des femmes

Le pouvoir des régimes autoritaires passe par le corps des femmes. [KEYSTONE - CAROLINE SEIDEL]
Le pouvoir des régimes autoritaires passe par le corps des femmes. - [KEYSTONE - CAROLINE SEIDEL]
Les taux de natalité sont en baisse dans le monde entier. Les décideurs politiques s'inquiètent des conséquences pour l'avenir, mais leur traitement de la question varie considérablement. Les régimes autoritaires s'en servent pour restreindre les droits des femmes et les maintenir sous contrôle.

"La raison d'être d'une femme réside dans son don naturel absolument unique: la continuation de la lignée familiale", a déclaré le président russe Vladimir Poutine en s'adressant à des étudiants en début d'année. Il a souligné l'importance pour les familles d'élever au moins trois enfants, déclarant que l'enseignement supérieur et la planification de la carrière empêchent de fonder une famille.

En novembre, la Douma, la chambre basse du Parlement russe, a adopté une interdiction de la "promotion de l'idéologie de l'absence d'enfants", qui prévoit des amendes allant de 50'000 à 5'000'000'000 de roubles (de 445 à 44'500 francs suisses) pour les contrevenants.

Parmi les exemples d'infraction, il y a la "promotion d'idées de vie sans enfants" en ligne ou par l'intermédiaire des médias. Les films qui "promeuvent le rejet de la procréation" ne recevront pas de licence de distribution en Russie; les propriétaires de sites Internet seront tenus de surveiller leur contenu pour y trouver des informations "promouvant le rejet de la procréation". Les sites avec ces contenus seront "interdits".

Défis mondiaux en matière de natalité et réponses autoritaires

Cette législation peut être considérée comme l'un des aspects de la longue campagne menée par les autorités russes pour promouvoir les "valeurs familiales traditionnelles", tant à l'intérieur du pays que dans le cadre d'un lobbying international concerté au sein d'organes tels que le Conseil des droits de l'homme des Nations unies, explique Joanna Bourke Martignoni, chercheuse à l'Institut universitaire de hautes études de Genève et à l'Académie de droit international humanitaire et de droits humains de Genève.

Joanna Bourke Martignoni souligne que les gouvernements et partis conservateurs, en Russie, aux Etats-Unis, en Europe, en Afrique et au Moyen-Orient, font pression pour obtenir des lois régressives sur l'orientation sexuelle, l'identité de genre et la santé sexuelle et reproductive.

Cette influence s'est accrue dans les forums intergouvernementaux tels que le Conseil des droits de l'homme, comme en témoigne l'adoption en octobre d'une résolution sur les droits de la famille, soutenue par des pays tels que le Qatar, l'Arabie saoudite, la Chine et la Russie.

Cette résolution promeut des approches des droits de l'homme "axées sur la famille". Ces discussions s'inscrivent dans le cadre de débats plus larges menés par les gouvernements et les ONG conservatrices, qui portent sur des questions telles que l'avortement, les droits des personnes LGBTQ+ et l'éducation à la sexualité.

Majorité démographique féminine en Russie

Les femmes constituent la majorité démographique en Russie. Alena Popova, politicienne et avocate russe qualifiée par Moscou d’"agent étranger", rappelle qu'avant la guerre en Ukraine, la population russe était composée de 77 millions de femmes et de 66 millions d'hommes. Elle explique que pour maintenir la base électorale de Poutine, le régime doit se concentrer sur les "valeurs familiales", afin que cette majorité féminine ne se rende pas compte qu'elle vit dans la pauvreté et ne se soulève contre le gouvernement.

La Russie a également l'un des taux de divorce les plus élevés parmi les pays membres des Nations unies. Après le divorce, la responsabilité de la famille, y compris le soutien financier, incombe en grande partie aux femmes. En 2019, les Russes ont dû verser des pensions alimentaires pour un montant record de 152 milliards de roubles (environ 1,33 milliard de francs suisses, ndlr).

Cette idéologie est également défendue par Recep Tayyip Erdoğan. Le dirigeant turc a exprimé à plusieurs reprises son opposition à l'égalité des sexes, exhortant les femmes turques à avoir au moins trois enfants et qualifiant les femmes sans enfant d'"incomplètes". Son épouse, Emine Erdoğan, a appelé en octobre les femmes à préférer l'accouchement "physiologique" et "naturel", arguant que les césariennes "contredisent la nature".

En Chine, une politique familiale à géométrie variable

En Asie, la Chine, deuxième économie mondiale, a fait volte-face en matière de natalité. Aujourd'hui, les autorités chinoises encouragent également les femmes à avoir jusqu'à trois enfants: en 2023, la Chine avait l'un des taux de natalité les plus bas du monde, résultat de l'ancienne politique de l'enfant unique mise en œuvre dans les années 1970.

"Pendant des décennies, la Chine a contrôlé les droits reproductifs des femmes, considérant la capacité de reproduction des femmes comme un atout national lorsqu'elle le souhaite, et comme un fardeau lorsqu'elle ne le souhaite pas", explique Anna Kwok, directrice exécutive du Hong Kong Democracy Council.

Ces contrôles stricts sont appliqués sévèrement dans des endroits tels que le Tibet et le Turkestan oriental, où les femmes ouïghoures sont contraintes de porter des enfants chinois Han, dans le cadre d'un effort visant à effacer l'identité ouïghoure.

Le New York Times a récemment fait état des efforts déployés par les autorités chinoises pour influencer à avoir des enfants, notamment en passant des coups de téléphone ou en frappant aux portes pour demander quand les femmes prévoyaient de fonder une famille. Certains couples ont reçu des vitamines prénatales de la part des autorités locales en guise de cadeau de mariage.

Sur les médias sociaux, des femmes ont signalé que des fonctionnaires de leur quartier leur avaient posé des questions sur leur dernier cycle menstruel. Les universités chinoises proposent désormais un cours promouvant une "vision positive du mariage et de la procréation".

Les récits conservateurs sur la procréation se répandent en Europe

Les messages et les tactiques utilisés par des pays comme la Russie, la Chine et la Turquie pour encourager la procréation ne s'arrêtent pas à leurs frontières. Le média britannique Byline Times a rapporté en 2022 que dans toute l'Europe, la machinerie d'influence de Vladimir Poutine sapait activement les droits des femmes et des LGBTQ+, diffusait des informations erronées, finançait des campagnes contre les droits des genres et soutenait des partis politiques d'extrême droite qui se revendiquent comme défenseurs de la famille traditionnelle.

Byline Times a déclaré qu'entre 2009 et 2018, au moins 186,7 millions de dollars (165 millions de francs suisses) de financement d'oligarques russes pour des initiatives "anti-théories du genre" ont afflué en Europe, ces fonds étant dirigés vers des organisations liées au stratège politique d'extrême-droite américain Steve Bannon, en particulier en Italie et en Espagne.

En Italie, le gouvernement d'extrême droite de Giorgia Meloni a récemment adopté une loi qui impose de fortes amendes et des peines de prison aux citoyens qui se rendent à l'étranger pour faire appel à des mères porteuses.

Cette loi reflète les politiques conservatrices de la dirigeante d'extrême droite. Elle se définit comme une chrétienne et une mère et défend l'idée que seuls les couples hétérosexuels devraient élever des enfants. Giorgia Meloni s'est ouvertement opposée à la gestation pour autrui (GPA) pour les couples LGBTQ+, faisant des messages anti-LGBTQ+ un élément clef de son programme électoral.

Un anti-féminisme très prégnant aux USA

Au-delà de l'Europe, aux Etats-Unis, la coalition World Congress of Families (WCF) défend les valeurs familiales traditionnelles, soulignant l'importance de la procréation et s'opposant au divorce, à l'avortement et aux personnes LGBTQ+. Le WCF use de fonds russes pour des campagnes américaines portant sur ses principaux thèmes.

Le président de la WCF Brian Brown dirige également la National Organization for Marriage et est lié à des hommes politiques européens d'extrême droite, tels que le dirigeant hongrois Viktor Orbán et le vice-Premier ministre italien Matteo Salvini.

Les récits de la WCF ont trouvé un écho dans la récente campagne présidentielle, où le vice-président élu JD Vance a accusé Kamala Harris et d'autres démocrates d'être anti-famille et les a qualifiées de "femmes à chats sans enfants".

Texte original: Elena Servettaz (SWI swissinfo.ch)

Traduction française: Mary Vakaridis (SWI swissinfo.ch)

Adaptation web: furr (RTS)

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