Sabor, ce robot appenzellois né il y a plus de 100 ans qui était connu partout en Occident
Le robot de l'inventeur August Huber, de Teufen, en Appenzell Rhodes-Extérieures, mesure 2,37 mètres. Il est né il y a environ 100 ans. Ce n’était pas le premier homme-machine au monde, mais c’était certainement le plus grand. Et il a été développé par un individu et non par une entreprise, contrairement aux quelques autres robots de l'époque.
August Huber a commencé à travailler sur Sabor alors qu'il n'avait que 12 ans. On ne sait pas comment le fils d'une famille de l'industrie textile a eu cette idée. Une industrie régionale qui aurait pu avoir une influence, car il y avait des machines à tisser et à broder en Appenzell — des machines d'ailleurs au fondement de la mécanisation industrielle du pays (lire encadré).
"Les connaissances en mécanique ont certainement été la base pour se lancer dans ce bricolage et cette fabrication", explique Lilia Glanzmann, codirectrice du Zeughaus Teufen, un musée appenzellois où Sabor est actuellement exposé.
La science-fiction dans les années 1920
Dans les années 20, le vieux rêve d’un humain artificiel a rencontré les nouvelles possibilités de la technologie électrique et radio. C’est également à cette époque que le terme "robot" apparaît pour la première fois dans la pièce de théâtre de science-fiction de l’auteur tchèque Karel Čapek en 1920, intitulée "R.U.R" (Rossum's Universal Robots).
En 1927, le long métrage "Metropolis" de Fritz Lang sort en salles. Le personnage central est une femme-machine. L'histoire du Magicien d’Oz de Lyman Frank Baum, publié pour la première fois en 1900 aux Etats-Unis et qui met en scène le personnage du bûcheron en fer blanc Nick Chopper ("the Tin Woodman" en anglais), aurait également pu inspirer August Huber. Bien qu'il soit devenu marchand de textile dans l'entreprise de son père, il a continué à consacrer son temps libre à la création d'un homme-machine.
Le premier modèle de Sabor était réalisé en bois et en tissu. Il pouvait déjà être contrôlé par radio. Sabor reçoit alors une armure en aluminium et une élégante tête sculptée dans le cuivre par un artiste allemand. Le robot pouvait se déplacer lentement sur roues, saluer, tourner la tête, battre des paupières et parler.
À l'intérieur de Sabor, il y a de nombreux interrupteurs télécommandés, un pour chaque fonction, 500 mètres de câble et de grosses batteries rechargeables.
Entrée en scène à l'Exposition nationale suisse de Zurich, en 1939
En 1939, Sabor est présenté pour la première fois au grand public à l'Exposition nationale suisse de Zurich. Il était un symbole des espoirs liés aux nouvelles technologies. Pour faire fonctionner Sabor, un animateur interagissait avec le public et le robot, tandis qu'un technicien doté d'un cadran téléphonique composait secrètement les différentes fonctions et prêtait sa voix au robot via une radio.
"Le pilote disposait également d'une encyclopédie afin de pouvoir répondre le plus rapidement possible aux questions du public", explique Lilia Glanzmann. Sabor a particulièrement impressionné grâce à un dispositif: il pouvait allumer du feu et faire de la fumée. À cette époque, une telle prouesse frappait les esprits.
Étonnement et incrédulité
Après la Seconde Guerre mondiale, le robot appenzellois a été baladé autour du Globe.
À partir des années 1950, Sabor voyage à travers l’Europe et en Israël. Il est apparu dans les salons et dans les grands magasins ou simplement dans les rues fermées spécialement pour lui. Aux Pays-Bas, il a offert des fleurs à la reine. Au Danemark, il a rencontré un prince.
Partout où Sabor apparaissait, avec son air quelque peu lourd, les gens se rassemblaient autour de lui. Poussés par la fascination et la curiosité, mais aussi par l'incrédulité, dit Lilia Glanzmann, "les gens n'arrêtaient pas de demander s'il y avait un humain là-dedans."
En 1961, Sabor se rend aux États-Unis, où il manque de peu Frank Sinatra. La représentation dans une cave de jazz n'a pas pu avoir lieu car Sabor était trop grand et ne pouvait pas descendre les escaliers. A la place, il apparaît dans le célèbre Ed Sullivan Show.
L'inventeur August Huber n'était plus là. En 1951, il vend Sabor à l'ingénieur électricien Peter Steuer, qui fait désormais sensation avec Sabor. Le légendaire conservateur Harald Szeemann s'intéressait également à lui. En 1967, il le loue pour l'exposition "Science-Fiction" à la Kunsthalle de Berne.
Au milieu des années 1970, Sabor tombe dans l'oubli et prend la poussière dans le garage de Peter Steuer. Ce n’est peut-être pas une coïncidence, au moment même où une autre nouvelle technologie prenait son essor: l'ordinateur personnel. Depuis la mort de Peter Steuer, Sabor se trouve dans le canton de Bâle-Campagne, au musée EBM de Münchenstein, désormais appelé "Primeo Energie Kosmos".
Sarah Herwig (SRF)
Adaptation française: Julien Furrer (RTS)
Rôle pionner de l'industrie textile dans la mécanisation en Suisse
D'après l'article "Mécanisation" de l'historienne Béatrice Veyrassat dans le Dictionnaire historique de la Suisse, "l'industrie cotonnière fut pionnière [de la mécanisation], allant dès les débuts du [19e] siècle chercher les techniques là où l'on développait de nouveaux outillages et procédés (Angleterre) et les adaptant aux conditions helvétiques."
"Et tout en mécanisant la chaîne du coton (du cardage au filage et jusqu'au tissage), ajoute l'historienne, l'industrie cotonnière réussit bientôt à produire elle-même les instruments de la mécanisation (machines textiles), tandis que les besoins des filatures en force motrice donnaient une impulsion primordiale au développement de systèmes hydromécaniques, ceux-ci stimulant à leur tour la mécanisation dans d'autres domaines".
Avis d'exposition
L'exposition "Sabor, le premier homme-machine de Teufen" , au Zeughaus Teufen, revient sur les pérégrinations du robot dans le monde entier, à l'aide de documents d'archives. À voir jusqu'au 9 février 2025.