Le samedi à Magaria, c'est jour de marché. Commerçants et villageois viennent de loin alentours sur la place de ce gros bourg du sud du Niger, à une trentaine de kilomètres de la frontière nigériane. Depuis les mauvaises récoltes de l'automne 2009, les étals se font plus maigres: "Il y a moins de marchandises qu'avant", témoigne une habituée de ce rendez-vous hebdomadaire en désignant quelques poissons séchés, des pommes et des dattes jaunes présentées sur une toile posée à même le sol. "Le peu qu'il y a est de plus devenu très cher; les gens sont condamnés à vendre à vil prix leurs rares et rachitiques bêtes ou à s'endetter pour pouvoir manger. Le cycle infernal est enclanché", poursuit la cliente.
Grande vulnérabilité
La situation est en effet déjà critique dans l'ensemble du pays "le plus sahélien du Sahel". "La période de soudure - désignant le laps de temps entre l'épuisement des stocks et la récolte suivante qui s'étend habituellement d'avril à septembre - a débuté en février déjà cette année", s'inquiète l'ingénieur Adam Maman, qui tient des statistiques mensuelles sur l'insécurité alimentaire dans le district de Magaria. Les maigres moissons 2009 doublées d'une saison des pluies en cours erratique font craindre une crise alimentaire aussi aiguë que celle qu'a connu la région en 2005. Résultat intermédiaire: la production de céréales a chuté de 30% et ce sont plus de 7 millions de Nigériens - soit près de la moitié de la population - qui sont aujourd'hui touchés par la famine, alors que 70% sont en situation de "grande vulnérabilité".
Face à cette crise annoncée, la junte militaire arrivée au pouvoir en février, a rapidement tiré la sonnette d'alarme et fait appel aux instances onusiennes et aux organisations non gouvernementales (ONG). Initiative impensable il y a quelques mois encore sous l'ancien régime du nationaliste Mamadou Tandja, viscéralement allergique à toute publicité sur la misère traversée de manière récurrente par l'un des pays les plus pauvres de la planète (85% de la population vivent avec à peine plus de 2 francs suisses par jour). "Nous avons déjà mobilisé 113 milliards de francs CFA (240 millions de francs suisses, ndlr) pour lutter contre la famine, détaille le premier ministre Mahamadou Danda. Reste à trouver encore 50 milliards (106 millions CHF, ndlr) pour couvrir le reste des besoins tant pour les mesures d'urgence que pour les projets à vocation plus durable" destinés à enrayer le cycle des crises alimentaires (1974, 1985, 2005). Pour ce faire, le gouvernement intérimaire joue à fond la carte du partenariat avec les agences des Nations unies et les ONG, "actrices de proximité": distribution de vivres, d'engrais et de semences, mise sur pied de structures de prévention et de soins pour les malnutris.
Seuil d'urgence
Avec des parents aux champs en ces moments de semis, les enfants souvent livrés à eux-mêmes une grande partie de la journée sont aujourd'hui les premiers menacés par la famine. Les chiffres de l'UNICEF et du gouvernement concordent de manière alarmante à cet égard: le taux des Nigériens de 0 à 5 ans atteints de malnutrition aiguë avoisine les 15% (+4,5% par rapport à 2009), soit le seuil d'urgence défini par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Dans les cases de santé en zones rurales ou dans les centres de soins des plus grosses localités, les enfants malades commencent à affluer. Le compte à rebours contre la famine est déclenché. A Magaria comme dans tout le reste du pays, les festivités du 3 août marquant le 50e anniversaire de l'Indépendance du Niger ont déjà passé au deuxième plan. La lutte contre la crise alimentaire a été décrétée comme l'une des priorités absolues du nouveau gouvernement intérimaire. Une volonté et des moyens engagés pour éviter que la dramatique histoire du Sahel ne se répète. Il y a toutefois une chose face à laquelle la junte militaire est bien désarmée: trouver la formule pour faire tomber la pluie.
Guillaume Arbex, de retour du Niger
Toute la bande sahélienne touchée
Avec déjà plus de 7 millions d'habitants touchés, le Niger paie déjà un lourd tribut à la crise alimentaire. Mais les pays de toute la bande sahélienne de l'Afrique de l'ouest et du centre sont également menacés par la famine: 2 millions de Tchadiens, 600'000 Maliens, 370'000 Mauritaniens, 465'000 Burkinabés et quelques dizaines de milliers de personnes au nord du Nigéria (sources: Food and agriculture organisation (FAO), dans Le Monde)