Terrence Malick n'a pas froid aux yeux. Pour son dernier film - le 5e en plus de 30 ans... -, le réalisateur traverse des milliards d'années d'évolution. Un film ambitieux donc, voire prétentieux, diront les mauvaises langues. Qu'importe, il faut se laisser emporter par l'histoire que nous raconte "le maître" - ou plutôt ses narrateurs. Chaque plan, comme c'est la coutume chez l'Américain, est d'une esthétique et d'une mise en scène irréprochable, la photographie est éblouissante. On regrette toutefois que le cinéaste n'ait pas cherché à synthétiser son récit. Passée la barre des deux heures (2h20 au total), la mise en scène perd de sa densité et le spectateur prend ses distances avec le récit. Dommage.
Le film s'ouvre sur ce postulat tiré de "The Way Of Grace", du très croyant Jonathan Brick: "Il y a deux façons de traverser la vie: la voie de la nature et la voie de la grâce". Malick prend l'expression à son compte en se projetant dans la vie d'une famille des années 50 confrontée à la mort de l'un de ses trois fils. En parallèle, la vie du fils cadet, Jack (Sean Penn), 40 ans plus tard. Face à une mère douce et aimante (Jessica Chastain) et un père autoritaire (Brad Pitt), le jeune Jack a longtemps cherché sa voie. Quatre décennies plus tard, il semble la chercher encore.
Dieu, la vie, la mort
Le cinéma de Malick comporte plusieurs constantes: des personnages principaux qui sont à la fois acteurs et narrateurs en voix off, le rapport de l'homme à la nature, et un récit à la temporalité éclatée. "The Tree Of Life" ne déroge pas à la règle, mais avec une densité inégalée. Dans une scène d'une incroyable beauté, le cinéaste remonte même jusqu'à la création de la planète bleue, du big bang aux grattes-ciel du 21e siècle en passant par l'arrivée des mammifères et l'extinction des dinosaures - Terrence Malick est croyant mais pas créationniste. Tout ça parce que Jack (Sean Penn donc), aujourd'hui la cinquantaine, se demande "d'où il vient", lui qui a toujours détesté son père et qui a fui son Texas natal pour travailler à New York.
D'où vient-on, où va-t-on, et dans quel but? Le sens de la vie, la mort, les croyances, la nature et la grâce... Ces questions existentielles, qui ne sont pas sans rappeler un certain "2001" de Stanley Kubrick, se trouvent au coeur de "The Tree Of Life" auxquelles l'ancien professeur de philosophie et adepte de Heidegger ne donne que des pistes, pas de réponses claires. La foi? L'amour? Le travail? Une oeuvre emprunte de mystère, de mysticisme, provoquant des applaudissements très contenus du public, voire même quelques sifflets. Ces 2h20 d'une rare beauté et d'une rare intensité nécessitent un temps de digestion considérable, et provoquent une irrémédiable envie de revoir le film. Promis, on y retournera.
De Cannes, Patrick Suhner
Des séquences d'anthologie
Terrence Malick est un perfectionniste, c'est une lapalissade que de le dire. Mais lorsque l'on voit certains plans de son film, on comprend très vite pourquoi l'Américain n'a fait que cinq films en plus de trente ans. Formation d'oiseaux passant devant et derrière un building, volcan en éruption, mise en scène du big bang, rayon de soleil entre deux branches d'arbre, courant marin qui brosse le sable, etc. Le tout dans une chorégraphie millimétrée. Le cinéaste ne cherche décidément pas la facilité. A quand une bonne comédie écrite et réalisée en quelques mois, monsieur Malick? Si vous cherchez des tuyaux, demandez à Woody...
Emeutes à Cannes
De mémoire d'homme, on n'avait jamais vu ça. Mardi matin avant la projection de "The Tree Of Life", nombre de journalistes se sont retrouvés sur le carreau devant la salle du Grand Théâtre Lumière, pourtant dotée de plus de 5000 sièges. Cris, colère et indignation... A tel point que les organisateurs ont été contraints de proposer une deuxième séance quelques heures plus tard. Malick a provoqué l'hystérie, et pourtant il a brillé par son absence...