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"Michael", le spectateur face à la banalisation du pédophile

Michael
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"Michael" pourrait bien s'inviter au palmarès de cette 64e édition. Mais son succès dépendra des orientations que veut donner le jury, car le film ne laisse pas de place à la demi-mesure. Cette chronique glaçante du quotidien banal d'un pédophile qui a séquestré un enfant dans sa cave divise d'ailleurs au sein des journalistes de la RTS. Fifi et Philippa de Roten disent pourquoi ils ont aimé - ou détesté - le film.

Pour: Fifi

"Une Palme d'or"

Pour son premier film, l'Autrichien Markus Schleinzer met tout en œuvre pour montrer que derrière la simplicité et la normalité apparente peut se cacher la pire des bêtes. Le pédophile est un homme comme les autres, ni beau, ni laid, juste banal, bon collègue de travail, bon voisin. Ce n’est pas à une bête curieuse. Un pédophile kidnappeur d'enfant peut très bien faire preuve d'attention pour sa victime.

N'y voyez pas de sentiment bienveillant de la part de Markus Schleinzer à l'égard d'un tel démon. Car derrière cette façade n'embrasse qu'un objectif:  préserver ce gamin comme il veillerait à conserver en excellent état son jouet favori. Le jour ou celui-ci donnera des signes de fatigue, il suffira de creuser un trou dans la foret pour s'en débarrasser et d'aller faire son marcher à la piste de karting du coin pour attirer tout en douceur une prochaine victime.

La douceur, la prévenance, les moments de partage ou les petites attentions sont les mamelles du pédophiles. Voilà sans doute d’où provient l’effroi et le trouble. En plus, n’attendez pas d'images explicites ou choquantes. Assez paradoxalement, on aimerait pourtant pouvoir se rassurer en se raccrochant à des scènes qui piquent les yeux pour détester définitivement cet homme. Rien. Il n’y a rien. Ce n'est pas le propos de Markus Schleinzer.

Au-delà des apparences

Attention il ne cherche pas non plus à rendre ce criminel sympathique, ce qui deviendrait abject et indéfendable. Il ne fait que montrer un type en apparence normal, qui retient prisonnier un gamin dans sa cave aménagée en studio meublé, sans fenêtre. Un gars capable de partir au ski avec des amis en laissant derrière lui son jouet pendant plusieurs jours.

Sur le fond, le film choque, mais sur la forme, il est de facture tout à fait classique, avec une succession de plan fixes qui permettent de bien planter le décor et faire entrer le spectateurs dans l'univers rigide du pédophile. Il faut attendre quelques dérèglement dans son quotidien pour que la caméra bouge et le suive enfin. La lenteur du rythme oblige le spectateur à entrer dans ce monde et à se poser des questions sur cet homme que l'on voudrait tant condamner réserve. sans remord. . adopter son rythme. Cette lenteur donne toute la latitude au spectateur pour se questionner sur cet homme. Là aussi, il y a de quoi être dérangé, bousculé parce qu’on ne devrait pas avoir à se poser de questions.

N'oublions pas que si le bourreau autrichien qui se sont fait arrêter récemment avait pris l'apparence d'un démon - l'histoire fait écho à une certaine Natacha Kampusch et à son bourreau , leurs victimes ne seraient pas restées toutes ses années au fond de leur cave. Michael pourrait, devrait obtenir la palme d'or. Uniquement pour que le monde ouvre enfin les yeux sur l'horreur qui se masque souvent derrière la normalité.

Contre: Philippa de Roten

"Une neutralité putassière"

"Michael décrit les cinq derniers mois de la vie commune forcée entre Wolfgang, 10 ans, et Michael, 35 ans." Tel est, mot pour mot, le résumé du synopsis du film de Markus Schleinzer dans le dossier de presse distribué à Cannes. Une petite phrase très claire et qui résume à la perfection l’intention du cinéaste: raconter le plus objectivement possible, avec distance, froideur et sans émotion la vie quotidienne d’un enfant et d’un adulte. Sauf que cet enfant est "forcé" de vivre cette vie-là. Et que, au passage, il se fait régulièrement violer par l’adulte.

Une porte de garage s’ouvre, une voiture entre, la porte se referme. La lumière à l’intérieur de la maison s’allume, les stores se ferment. Un homme entre dans la cuisine, pose un sac. Descend à la cave. Ouvre une porte blindée. "Viens manger". L’enfant est à table, mange, demande s’il peut regarder la télévision. L’adulte répond "Jusqu’à 9 heures".

L’adulte travaille, part en vacances, soigne l’enfant lorsqu’il a de la fièvre, prépare le sapin de Noël. Il est colérique, maniaque sur la propreté, joueur. L’enfant? On n’en sait pas grand-chose. Il a bon caractère. Il ne pleure jamais, dessine, mange des Quick soupes dans sa cave sans poser de question, fait des puzzles avec l’adulte. Les viols? Les abus? La violence? Le traumatisme? On les devine. Mais ils sont hors-champs. Et n’ont pratiquement pas de conséquences sur ce qui se passe devant la caméra.

Un film creux

Au départ, par sa grande maîtrise de la mise en scène , on pourrait croire que Markus Schleinzer marche sur les pas de son compatriote Mickael Haneke. Même sens glacial du plan, même économie du jeu, même tension. Mais plus le film avance, plus la déconvenue est grande. Lorsque Haneke scrute avec minutie et froideur la banalité des choses, lorsqu’il filme le quotidien, c’est pour révéler avec force la violence et l’horreur humaine qui se cache sous le masque. Markus Schleinzer, lui, ne montre rien, ne suggère rien, ne dévoile rien.

Chez Schleinzer, le pédophile chez n’a pas de visage (si ce n’est qu’il répond à tous les clichés que l’on peut s’en faire, moche, complexé, timide, maniaque, etc..). Elle n’est pas expliquée, pas explicable (on ignore totalement son passé, ses éventuels traumatismes). Et surtout ses actes semblent sans conséquence émotive (l’enfant reste un étranger pour le spectateur). Sans parler du destin qui l’attend, comme une paresse scénaristique – ou une provocation ultime?

A la suite du traumatisme provoqué par l’affaire Natacha Kampusch, Markus Schleinzer a voulu raconter la normalité du pédophile. La banalité du mal. Soit. Le problème, c’est qu’il ne pose aucune question sur ce mal, il ne l’approche pas, il l’ignore totalement. Il ne reste dès lors de son film qu’un concept dans une mise en scène. D’un ennui profond. Et d’un goût totalement douteux. Il y a quelque chose de putassier à se montrer aussi neutre et aussi superficiel sur un sujet aussi explosif.

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