RTS: quelle position défend l'ASLOCA?
Carlo Sommaruga: l'ASLOCA veut offrir des conditions de logement supportables aux populations locales. Or, l'augmentation des résidences secondaires met la pression sur les prix et engendre des hausses de loyer sur tous les logements. Ce constat touche surtout les zones touristiques, mais aussi les milieux urbains. A Genève, par exemple, de nombreux appartements sont utilisés comme résidences secondaires par des étrangers ou des hommes d'affaires lors de leurs rares passages en Suisse.
Avez-vous des exemples chiffrés de cet impact des résidences secondaires sur la population locale?
Non. Mais des exemples concrets. On devient de plus en plus confrontés à des situations où la population locale, par exemple à Verbier ou aux Diablerets, doit redescendre vivre en plaine pour trouver un loyer abordable.
Sur l'ensemble du pays, ces cas doivent être plutôt rares...
Certes. Mais ce problème va au-delà du simple logement. Les entreprises implantées sur place délocalisent aussi, faute de pouvoir loger leurs employés à des prix décents. On assiste donc à un assèchement dangereux du tissu économique des régions touristiques.
Le tourisme n'est-il pourtant pas, par définition, l'activité économique principale des régions touristiques?
Détrompez-vous. Il y a encore beaucoup de PME dans ces zones. Ne serait-ce que pour construire des chalets...
Mais l'initiative pourrait nuire à cette économie en limitant, voire arrêtant, le développement touristique?
Et alors? Il faut savoir quel développement on veut? Est-ce qu'on vise un profit spéculatif immédiat ou un développement durable qui tient compte des besoins de la population locale? La multiplication des résidences secondaires déstructure profondément les conditions de vie des autochtones.
La Confédération a révisé la loi sur l'aménagement du territoire en prévoyant des mesures pour limiter les résidences secondaires selon les particularités locales, promouvoir l'hôtellerie et améliorer le taux d'occupation des résidences secondaires. L'initiative n'est-elle donc pas superflue?
Elle va plus loin, en protégeant non seulement le patrimoine constitué par notre paysage, mais aussi le capital que représente le sol pour les gens du lieu. Les récents sondages montrent que les Suisses ont envie de solutions concrètes comme celles de l'initiative et pas seulement de mesures floues laissées au bon vouloir des autorités locales et qui ne peuvent que freiner le phénomène sans le stopper.
Certaines communes appliquent pourtant déjà ces mesures fédérales...
... Et je leur tire mon chapeau!
... Ne faut-il donc pas laisser le temps aux autres de s'adapter? La Confédération laisse jusqu'au 1er juillet 2014 pour appliquer la nouvelle loi.
Il y'a une telle urgence. Certaines stations des Alpes vaudoises et valaisannes ont déjà 80% de résidences secondaires! Il faut dire stop! L'avantage de l'initiative, c'est qu'elle aura un impact rapide. Selon moi, le capital que représente le sol doit pouvoir être utilisé par l'ensemble des générations. J'ai l'impression que la génération actuelle a déjà largement entamé sa part!
On accuse aussi l'initiative de ne pas respecter le fédéralisme. Seuls quelques cantons, surtout le Valais et les Grisons, sont en effet concernés par cette problématique. N'est-ce pas une forme d'ingérence de vouloir imposer un cadre légal au niveau national?
La beauté des Alpes appartient à tout le monde et pas seulement à quelques élus de gouvernements locaux ou cantonaux. Si on avait laissé le Valais se développer en suivant les volontés économiques de ses dirigeants, on aurait aujourd'hui des pistes de ski sur toutes les pentes et des terrains de golf sur tous les replats! Heureusement que des associations, notamment écologiques, ont osé se battre pour éviter d'en arriver à de telles extrémités.
Vous accusez toutes les autorités d'être corrompues par l'économie?
Il y a heureusement des exceptions. Mais malheureusement, des exemples comme Crans-Montana prouvent que les autorités locales n'ont pas envie de coopérer à la protection de la nature. Il faut que la société soit malade pour accepter de construire la ville à la montagne! Les autorités sont trop souvent confrontées à des conflits d'intérêts. Un cadre fédéral pourrait justement permettre de les atténuer. Selon les sondages, le peuple semble d'ailleurs ne plus faire confiance à ses autorités, puisque l'initiative serait acceptée. Espérons que ce soit le cas le 11 mars.
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Propos recueillis par Victorien Kissling
Partisans et opposants
Lancée par la Fondation Franz Weber et Helvetia Nostra, l'initiative est soutenue par les milieux écologiques, notamment les associations Pro Natura, WWF ou ATE, qui veulent protéger la nature et les populations locales. Le PS et les Verts défendent aussi le texte.
La droite et les milieux économiques, eux, suivent l'avis du Parlement et du Conseil fédéral, qui recommandent de voter "non". Ils estiment que des limitations efficaces ont déjà été décidées dans le cadre de la révision de la loi sur l'aménagement du territoire.