RTSinfo: Pourquoi vouloir à tout prix sauver les terres agricoles alors que les besoins en logements augmentent ?
Otto Sieber: Depuis 30 ans, les nouvelles constructions, telles que les maisons ou les routes, représentent chaque année l’équivalent de la superficie du Lac de Morat. C’est beaucoup trop! Nous avons estimé que si cette tendance se poursuit, en 2300 la totalité des surfaces cultivables en Suisse aura disparu. Nous avons déjà tellement détruit d'habitats importants. Il faut absolument freiner ce mitage.
Le mitage, c’est l'éparpillement des constructions sur un territoire. Quelles conséquences pour la Suisse ?
Depuis la seconde guerre mondiale, près de 60% des denrées alimentaires consommées en Suisse sont produites dans le pays. Aujourd'hui encore, il est possible de préserver ce taux, à condition de freiner l’expansion urbaine. Le risque étant de dépendre uniquement des produits étrangers. En plus de la perte des terres cultivables, la place dévolue aux loisirs diminue également. La faune et la flore sont aussi menacées, avec la disparition progressive de leur habitat naturel. Sans compter la dégradation de la beauté du paysage, qui représente selon moi "l'âme" de la Suisse.
Vous êtes à l'origine de "l'initiative pour le paysage", retirée sous conditions, au profit du contre-projet indirect de la Confédération. Pourquoi avoir choisi de vous rallier à une option moins radicale?
Pour retirer cette initiative, nous souhaitions que deux conditions soient remplies. D'une part, l’obligation de plafonner ou de réduire les surfaces à bâtir surdimensionnées, et d'autre part, prévoir des indemnisations pour les propriétaires dont les terrains constructibles seront réduits. Ces conditions sont intégrées dans la révision de la LAT. Le financement des indemnisations sera d’ailleurs issu des 20% de la valeur ajoutée lors du reclassement des zones agricoles en zone constructible.
Les adversaires de la loi évoquent à ce propos 37 milliards de francs pour ces besoins d'indemnisation.
Les 37 milliards sont juste une manière d'effrayer la population. Ces chiffres sont complètement faux. Les opposants se basent sur des données de 2006/07 pour calculer les surfaces à réduire. En sachant que les réductions de terrains n'interviendraient pas avant 2018, une grande partie de ces zones seront construites. La surface à compenser donc nettement moins élevée.
Le taux de vacance reste faible en Suisse, moins de 1% en 2012. La pénurie de logements ne sera-t-elle pas aggravée par la limitation des surfaces à bâtir?
Pas du tout. La nouvelle loi garantit que la limitation des zones à bâtir pour les 15 prochaines années corresponde aux besoins spécifiques en logements de chaque canton. De plus, il y a beaucoup plus d'espace que l'on ne croit dans les villes. Notamment, des friches industrielles et des surfaces inutilisées au profit de la spéculation foncière.
Cette limitation à 15 ans est déjà inscrite dans la loi actuelle. Mais cette règle est parfois mal appliquée. Pensez-vous que les cantons se montreront plus stricts ?
La nouvelle loi contient des délais durant lesquels les cantons doivent adapter leur planification. Ceux qui ne le feront pas ne pourront plus étendre leurs zones à bâtir. Mais il existe déjà de bons exemples, comme la ville de Sion. Elle vient de recevoir le Prix Wakker, qui récompense les efforts pour un développement urbain de qualité. Nous espérons qu'avec cette nouvelle loi, ces exemples deviendront plus fréquents.
Vous évoquez le canton du Valais, qui compte environ 80% de propriétaires fonciers. Très remontés par cette révision, certains souhaiteraient, par exemple, conserver durant plus de 15 ans des terrains pour leurs héritiers.
Les zones constructibles valaisannes sont surdimensionnées, et ce n'est pas seulement une question d'héritage. La Confédération et le canton du Valais doivent trouver des solutions. Mais des réformes nécessaires ne doivent pas être freinées par une seule région.
Cette révision impose un cadre plus strict de la Confédération. Ne craignez-vous pas que les spécificités cantonales soient négligées au profit d'une plus grande centralisation ?
Pourquoi pensez-vous que les gouvernements des cantons, à part une seule exception, se prononcent en faveur de cette révision ? Pourquoi la Conférence suisse des directeurs cantonaux des travaux publics, de l'aménagement du territoire et de l'environnement seraient favorables à cette révision, s'il y avait un diktat de Berne ? Le frein au mitage n’est pas seulement un vœu national, mais surtout un désir des populations dans les régions.
Vous défendez des valeurs de développement durable. Quelles solutions préconisez-vous afin de gérer l’augmentation constante de la population?
L'estimation des besoins devra prendre en compte l’augmentation de la population. Je préconise une densification urbaine, car il y a beaucoup d’espace disponible dans les zones déjà habitées. En Suisse, les friches industrielles correspondent à la superficie de la ville de Genève. Il est possible de construire des bâtiments pour environ 1,4 à 2 millions de personnes dans les zones à bâtir existantes, sans utiliser un seul mètre carré supplémentaire de terres cultivables. Nous avons assez de place pour plusieurs décennies.
Propos recueillis par Mélanie Ohayon