En marge de sa sortie à Lugano sur la thématique de la migration, politbox a rencontré le cinéaste Fernand Melgar à Lausanne.
Après avoir observé les conséquences des politiques migratoires dans ses documentaires, "La Forteresse", Léopard d'Or au Festival de Locarno en 2008, et "Vol Spécial" en 2011, le réalisateur livre son sentiment sur une thématique qui préoccupe l'Europe entière alors que 150'000 migrants ont traversé la Méditerranée depuis le début de l'année 2015.
Réagissant à la proposition de fermeture de la frontière du conseiller d'Etat tessinois Norman Gobbi, Fernand Melgar évoque le fameux adage "la barque est pleine" utilisé pour refouler des Juifs allemands aux frontières suisses en 1942.
"Aujourd'hui, on agite la peur et la méfiance. Mais rappelons-nous qu'au 19e siècle un million d'Européens partaient chaque année pour les Etats-Unis, soit 50 millions en 50 ans, on est donc loin ici de ce qu'on appelle l'afflux massif de réfugiés".
La Suisse s'est vidée de près de 20% de ses habitants à cette période-là, rappelle par ailleurs le Vaudois.
Renouveler la population
Ces mouvements de population, Fernand Melgar estime que l'Europe et la Suisse en ont besoin pour renouveler une population vieillissante.
"Le monde a toujours fonctionné de cette façon, le propre de l'homme, c'est d'être un migrant. Et qu'y a-t-il de plus légitime que de tenter d'avoir une vie meilleure?", interroge-t-il.
La première grande vague migratoire en Suisse, c'est les protestants français. Ce sont eux qui nous amenés l'horlogerie, les banques et le chocolat.
"On étouffe dans un pays fermé à double tour"
Qu'est-ce qui a changé avec l'initiative UDC sur l'immigration de masse acceptée par le peuple suisse en février 2014? "A l'époque où j'ai fait "Vol Spécial" en 2011, le centre de détention administratif de Frambois comptait 25 places. Aujourd'hui sa capacité va être portée à 250 places, dix fois plus, voilà ce qui a changé", commente amèrement Fernand Melgar, qui dénonce un discours hypocrite de la part de la Suisse qui s'est toujours présentée comme le pays des droits humains.
"Aujourd'hui on laisse tout le monde dehors, on se blinde. On parle de la forteresse Europe, on pourrait parler du donjon suisse. Le problème quand on ferme et on verrouille à double tour une maison, c'est qu'on étouffe à l'intérieur".
"Se débarrasser de personnes persécutées"
Le cinéaste estime aussi que les politiques mises en place ne visent plus aujourd'hui à protéger des personnes persécutées mais à tenter uniquement "de s'en débarrasser".
"En se focalisant sur l'accélération des procédures, on oublie que ce sont des Syriens, des Erythréens, des gens qui fuient des dictatures et des guerres abominables qui demandent asile".
Nouveau film en préparation sur le handicap
Dans son travail actuel, le cinéaste s'intéresse toujours à la thématique de l'altérité et de l'acceptation de l'autre mais au travers cette fois-ci du portrait d'une classe de jeunes enfants handicapés.
En tournage depuis six mois, Fernand Melgar veut soulever des enjeux liés à leur prise en charge sociale et éducative à l'heure du récent débat sur le diagnostic préimplantatoire et d'une "société normative qui a tendance à éliminer tous ceux qui sont un peu différents". Le film est attendu pour 2016.
Sophie Badoux