RTSinfo: L’impôt sur les successions doit permettre de lutter contre la concentration des richesses. Pourquoi défendez-vous les grosses fortunes?
Jacques Bourgeois: Je ne les défends pas. Ce que je veux, c’est protéger l’épine dorsale de notre économie, à savoir les entreprises familiales et les PME. En cas de oui le 14 juin, elles seront fortement touchées.
Pourtant, cet impôt concerne les masses successorales de plus de deux millions de francs, soit seulement 2% de l’ensemble des successions.
C’est un argument fallacieux. Vous atteignez rapidement les deux millions de francs lorsque vous possédez une petite entreprise ou même une maison familiale.
Que craignez-vous concrètement?
On va contraindre les petites entreprises à créer des réserves ou à emprunter pour s’assurer la capacité de payer cet impôt. C’est autant d’argent qui ne sera pas investi dans l’outil de production. Or, investir dans l’outil de production, c’est garantir la pérennité et la création d’emplois. De plus, tous les descendants directs seront taxés. C’est une aberration: les initiants jouent à un jeu dangereux qui pourrait péjorer l’ensemble de l'économie.
Pourquoi la taxation des descendants directs est-elle un problème?
La plupart des petites entreprises se transmettent de génération en génération. Si l’on veut permettre ce passage, il faut veiller à ne pas les grever d’un fardeau supplémentaire. Ce n’est par pour rien si la quasi-totalité des cantons ont aboli cette taxation. Laissons à ceux-ci leur souveraineté fiscale.
En Suisse, on impose tout au niveau fédéral: le tabac, l’alcool, le travail, la consommation. Pourquoi pas les successions?
Ce n’est pas à la Confédération de dicter la marche à suivre en matière fiscale. Les besoins financiers diffèrent drastiquement d’un canton à un autre. Sans compter que le montant d’un milliard de francs devant leur être reversé n’est pas garanti. Il pourrait fluctuer. En cas diminution des recettes, que feront-ils? Soit ils réduiront leur voilure, soit ils augmenteront leurs autres impôts. Dans les deux cas, la population sera perdante.
Le Parti évangélique prévoit des «réductions particulières» lorsque l’impôt risque de «mettre en danger l’existence» d’une entreprise. Ce n’est pas suffisant?
Pour bénéficier de ces réductions, le repreneur devra assurer qu’il exploitera l’entreprise pendant dix ans au moins. Que se passera-t-il en cas de décès du nouveau patron? Est-ce que l’impôt sera dû? C’est la grande inconnue. Quant au montant de ces fameux allégements, il demeure tout aussi confus.
Les initiants sont pourtant clairs: la franchise sera de 50 millions de francs et le taux d’imposition de 5% pour les entreprises qui continuent leurs activités pendant 10 ans.
On a tout entendu à ce sujet. Auparavant, ils avaient parlé de 8 millions, puis de 20 millions. Qui dit mieux? C’est n’est pas sérieux. Avant de soumettre un texte au peuple, il faut réfléchir à ses conséquences. Mais même en cas d’acceptation de l'initiative, ce sera au Parlement de débattre de ces réductions particulières.
Les exploitations agricoles seraient-elles particulièrement touchées?
Il est vrai qu’il faudrait une très grande exploitation pour atteindre le plafond de deux millions de francs. Indépendamment de cela, le monde agricole est directement tributaire de l’essor économique du pays et donc de la santé des PME. C’est la raison pour laquelle l’Union suisse des paysans s’est clairement positionnée contre ce texte.
Au vu de la situation financière critique de l’AVS, est-il judicieux de se priver d'un apport de deux milliards de francs par an?
Ces deux milliards ne sont pas garantis. Pourquoi? Parce que les conditions d’exemption pour les entreprises ne sont pas clairement définies. Les montants alloués fluctueront chaque année. Avec le vieillissement démographique, nous allons au-delà de grandes difficultés pour assurer à chacun sa rente. Le trou à combler sera de 8,3 milliards de francs en 2030 et le citoyen doit avoir l’assurance de toucher son premier pilier. Jouer à la roulette russe avec l’AVS, c’est insensé.
Quelle solution préconisez-vous?
Il faut passer par une hausse du taux de TVA. Le montant engrangé par ce biais ne variera pas dans le temps. C’est la meilleure solution pour donner une assurance de financement.
L’initiative touche aussi les donations, rétroactivement dès le 1 janvier 2012. Pourquoi est-ce un problème?
Cette clause bafoue l’Etat de droit. Nous ne sommes pas dans une république bananière. On ne va pas remonter le temps pour prendre plus d'argent aux citoyens. Sans compter que ces donations devraient être inscrites dans un registre de données centralisé. C’est la porte ouverte à plus de bureaucratie.
Pourtant, sans cela, des milliards de francs feraient l’objet de donations avant l’entrée en vigueur de la loi.
Accepteriez-vous qu’on vous ponctionne un montant supplémentaire cinq ans après avoir effectué une donation? Moi, jamais. Parce je l’ai fait en toute bonne foi dans un cadre légal donné. Changer les règles a posteriori est impensable. On ne peut tout simplement pas déroger à l’Etat de droit.
Le premier sondage SSR fait état de 51% de voix défavorables. Êtes-vous confiant sur l'issue du vote?
J’ai pour habitude de ne jamais me relever avant d’avoir franchi la ligne d’arrivée. Les citoyens doivent absolument penser à la prospérité de la Suisse. C’est en gardant des entreprises familiales et des PME saines qu’on préservera des emplois de proximité.
Propos recueillis par Kevin Gertsch
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