RTSinfo: D’abord l’initiative Minder, puis 1/12, "Halte aux privilèges fiscaux des millionnaires" et maintenant l’impôt sur les successions de plus de 2 millions. Vous en voulez aux riches?
Jean-Christophe Schwaab: ce n’est pas en vouloir à quelqu’un que de lui demander de contribuer au bien commun à la hauteur de ses moyens. La devise de la Suisse est "un pour tous, tous pour un". En Suisse, 2% des plus riches détiennent autant que les 98% de la population restante. Cette concentration des richesses est devenue intolérable et n’est pas souhaitable pour l’économie. Des études montrent que les gens très riches épargnent en moyenne 25% de ce qu’ils gagnent. Cet argent n’alimente pas le circuit économique. A l’autre bout de l’échelle, ceux qui n’ont rien ne peuvent pas consommer.
Les riches contribuables ont le sentiment d’en faire assez, en payant déjà beaucoup d’impôts. Ce n’est pas suffisant?
Ce qui compte, c’est le revenu disponible, soit ce qui reste à la fin du mois, lorsque le fisc et les prélèvements sociaux sont passés. En 15 ans, les classes modestes ont vu ce revenu augmenter de 400 francs, les classes moyennes de 2000 francs et les classes aisées de plus de 14'000 francs. Malgré les impôts que certains disent élevés, les plus riches ont pu accroître leur fortune. Ils ne croulent donc pas sous l’imposition. Avec notre initiative, une personne qui touche 10 millions de francs pourra en garder 8,4. Elle n’est pas à plaindre.
Vos opposants vous accusent de travailler contre la famille. Vous, vous dites que cet impôt est juste. Pourquoi?
Il est juste, car il ne pénalise pas le travail et les activités productives, mais touche à revenu acquis par pure chance. L’héritier n’a pas d’autre mérite que d’être bien né. Aussi, ce n’est pas celui qui a généré cette fortune qui le paie, puisqu’il est mort. D’autant que les fortunes se sont souvent constituées grâce à des héritages. L’initiative est particulièrement efficace pour réduire les inégalités. Avec une franchise à 2 millions, 98% de la population n’est pas concernée.
Cet impôt devrait rapporter 3 milliards de fr. par an, dont 2 pour l’AVS. Il n’y a pas d’alternative pour assurer cette rente?
Le PLR et l’Usam (Union suisse des arts et métiers, ndlr) proposent d’augmenter l’âge de la retraite et de baisser les rentes. Une autre solution mise sur la table serait d’augmenter les cotisations salariales et la TVA. Je ne suis pas opposé à cette dernière, car notre initiative ne prétend pas suffire à tous les financements dont l’AVS a besoin. Mais moins ont prélèvera sur le travail, mieux ce sera pour l’économie.
Eveline Widmer-Schlumpf semble peu confiante quant aux 2 milliards…
Il est difficile de prévoir quand les gens vont mourir. Mais des indicateurs laissent penser que la somme des héritages, aujourd’hui d’environ 40 milliards par an, va encore augmenter. La part de l’héritage dans le revenu des ménages est passée de 5% dans les années 1970 à 13% aujourd'hui. Les héritages sont donc une part toujours plus importante des revenus.
Concrètement, les gens pourront-ils encore hériter d’une maison sans devoir la vendre?
Avec une franchise à 2 millions, seuls les gens dont le train de vie permet de payer cet impôt seront concernés. Il ne faut prendre en compte que la fortune nette, la dette hypothécaire étant déduite. Pour arriver à la situation où des gens doivent avoir 400'000 francs de liquidités, par exemple, il faut hériter d’une maison de 4 millions.
Beaucoup reprochent à l’impôt sur les successions de faire doublon avec celui sur la fortune.
Les cantons qui imposent la fortune et les successions existent déjà, avec des franchises inférieures à 2 millions, et des taux très élevés.
Presque tous les cantons ont supprimé cet impôt pour les lignes directes. Selon vous, fils et lointain neveu doivent être imposés de la même manière?
Le fils n’a pas plus de mérite que le neveu. La situation actuelle est d’ailleurs plus injuste envers les familles recomposées. Dans certains cantons, les lignes indirectes sont imposées à bien plus de 20%, tandis que le fils légitime ne paie rien.
Selon les patrons de PME familiales et les agriculteurs, une telle loi les empêcherait de transmettre leur activité.
Jacques Bourgeois (directeur de l’Union Suisse des Paysans, ndlr) a admis que, pour les exploitations agricoles, l’initiative ne changerait rien, car aucune ne vaut 2 millions à la valeur de rendement. Pour les PME, il y aura une franchise à 50 millions et le taux sera de 5%. Nous pouvons nous y engager. Les 99% des PME ne seront donc pas concernés.
Le texte ne précise pas tout cela, les conditions d’allègement sont vagues.
Le texte dit ceci: «des réductions particulières s’appliquent pour l’imposition afin de ne pas mettre en danger leur existence et de préserver les emplois.» Le législateur n’aura pas d’autre choix que d’écrire une loi qui préserve les emplois. Tous les parlementaires qui disent défendre les PME ne vont pas voter moins que les 50 millions proposés par les initiants.
Pour obtenir un allègement d’impôt, l’héritier d’une entreprise doit s’engager pour au moins 10 ans. N’est-ce pas trop long?
Je ne pense pas, car les vraies entreprises familiales s’engagent sur du long terme. La loi devra certainement prévoir les modalités d’application en cas de maladie, d’incapacité de travail ou de faillite. Celui qui n’en veut plus et qui vend avant 10 ans aura les liquidités nécessaires pour payer l’impôt.
Trois cantons imposent encore les successions en ligne directe: Vaud, Neuchâtel et Appenzell Rhodes-intérieures. Finie la concurrence fiscale?
L’AVS étant une rente fédérale, elle exige un financement fédéral. Quant à la concurrence fiscale, elle n’amène rien de bon. L’argument avancé par les cantons en supprimant cet impôt n’était ni les PME, ni la double imposition. Ils l’ont supprimé parce que les voisins l’ont supprimé, dans le seul but de rester compétitifs, aggravant les inégalités.
L’initiative prévoit d’imposer les donations dès 2012. Elle enfreint donc le principe reconnu de la non-rétroactivité des lois.
Ceux qui invoquent la non-rétroactivité, notamment le PLR, sont les mêmes qui demandent une amnistie fiscale. C’c'est-à-dire que les délits fiscaux commis du passé doivent être rétroactivement effacé. Je pense ici que la rétroactivité se justifie pour éviter un effet d’aubaine de gens qui font des donations pour éviter l’impôt.
Propos recueillis par Feriel Mestiri
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