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Certaines sociétés occidentales restent en Russie malgré elles

La Suisse met en œuvre le 10e train de sanctions contre la Russie (image d'illustration). [Keystone - Urs Flueeler]
Ces entreprises étrangères restées en Russie... parfois malgré elles / Tout un monde / 8 min. / le 13 mai 2024
Depuis le début de la guerre en Ukraine, un peu de moins de 400 entreprises ont complètement quitté le territoire russe et elles sont encore près de 2200 sur place, dont beaucoup de suisses. Toutes ne souhaitent pourtant pas y poursuivre leurs activités, mais le Kremlin rend les départs difficiles.

Les sociétés qui ont quitté la Russie, notamment le cimentier suisse Holcim, Electrolux, Ikea, McDonald’s, la Société Générale ou encore Renault, ont très vite réagi en vendant ou en liquidant leurs entités locales. Certaines ont subi des pertes importantes, bradant parfois leurs usines et leurs infrastructures, même sans être obligées de quitter la Russie.

Les sanctions européennes visent uniquement le matériel militaire ou technologique, mais pas les entreprises. Elles ont donc quitté le territoire pour des raisons éthiques, de sécurité ou de réputation.

>> Voir le sujet du 12h45 sur les enseignes internationales qui ont cessé leurs activités en Russie :

McDonald's suspend à son tour ses activités en Russie, [AP - Gene J. Puskar]
Comme McDonald's, de nombreuses enseignes internationales cessent leurs activités en Russie en signe de protestation / 12h45 / 1 min. / le 10 mars 2022

Situation complexe pour celles qui restent

Parmi celles qui sont restées, la majorité y avait fait d'importants investissements avant la guerre, d'où leur position attentiste. Seulement, aujourd'hui, elles sont prises au piège, a expliqué lundi dans l'émission Tout un monde Agathe Demarais, chercheuse en géoéconomie au Conseil européen pour les relations internationales.

Beaucoup d'entreprises ont choisi de rester en Russie et aujourd'hui, elles se retrouvent dans une situation très complexe

Agathe Demarais, chercheuse en géoéconomie au Conseil européen pour les relations internationales

"Certaines ont décidé de geler leurs activités mais de rester sur place et de ne pas vendre leurs actifs. D'autres ont décidé de rester présentes en Russie et d'y avoir des activités alors que l'argument moral est plutôt contre cela, puisque les impôts payés servent à financer l'effort de guerre russe", poursuit-elle.

Mais beaucoup d'entreprises ont choisi de rester en Russie et aujourd'hui, elles se retrouvent dans une situation très complexe", analyse l'experte, alors que la guerre continue et les sanctions occidentales se sont multipliées.

>> Voir le sujet du 19h30 sur les entreprises occidentales qui n'ont pas quitté la Russie :

Les entreprises occidentales ont été nombreuses à quitter la Russie après l'invasion en Ukraine. Mais certaines, dont plusieurs compagnies suisses, ne l'ont pas fait
Les entreprises occidentales ont été nombreuses à quitter la Russie après l'invasion en Ukraine. Mais certaines, dont plusieurs compagnies suisses, ne l'ont pas fait / 19h30 / 1 min. / le 6 mai 2024

>> Les derniers événements du conflit entre l'Ukraine et la Russie : L'armée ukrainienne reconnaît des "succès tactiques" russes

"C'est une situation assez toxique pour les entreprises occidentales qui avaient tissé des liens avec le pouvoir russe. Pour y faire des affaires, il faut toujours avoir un lien avec une personne proche du pouvoir. Mais aujourd'hui, c'est très difficile", ajoute la chercheuse.

C'est pourquoi elles sont nombreuses à avoir entrepris des démarches pour quitter le pays, selon la liste établie par la School of Economics de Kiev (KSE).

Quelque 1200 entreprises ont entamé une procédure pour quitter le pays, mais une commission spéciale créée au sein du gouvernement examine la demande de départ de chaque entreprise étrangère

Andreii Onopriienko, directeur de la recherche en politique de la School of Economics de Kiev

Obstacles du Kremlin

Aujourd'hui, quitter le pays pour une société occidentale est plus compliqué qu'au début de la guerre. Le Kremlin multiplie les obstacles.

"Quelque 1200 entreprises ont entamé une procédure pour quitter le pays. Mais les autorités russes ont créé une commission spéciale au sein du gouvernement pour examiner la demande de départ de chaque entreprise étrangère", indique Andreii Onopriienko, directeur de la recherche en politique de la KSE. "La commission se réunit trois fois par mois pour examiner environ sept demandes. Cette procédure administrative est l'un des moyens par lesquels les autorités russes pourraient bloquer le processus de départ."

L'entreprise étrangère qui souhaite partir se voit imposer un certain nombre de règles, comme ne vendre qu'à des repreneurs russes ou se faire nationaliser

Julien Verceuil, professeur d'économie à l'Institut national des langues et civilisations orientales à Paris

Le gouvernement dispose d'autres moyens, comme celui de faire payer une "taxe de sortie volontaire" aux entreprises ou d'imposer une décote lors de la vente, qui peut atteindre 90 à 95% de la valeur des actifs. Certaines compagnies sont ainsi vendues pour un dollar ou un rouble symbolique, rapporte encore Julien Verceuil, professeur d'économie à l'Institut national des langues et civilisations orientales à Paris.

"Ça consiste à maximiser le coût de sortie pour l'entreprise et en particulier imposer un certain nombre de règles, comme ne vendre qu'à des repreneurs russes ou vendre à l'Agence nationale des propriétés de l'Etat, ce qui revient à nationaliser. Cette agence, elle, va à son tour privatiser les actifs nationalisés et éventuellement empocher une plus-value importante, ce qui n'est pas mauvais quand on est en contexte de déficit budgétaire."

En réaction aux sanctions occidentales

Moscou a ainsi procédé à une série de nationalisations "temporaires". Récemment, les filiales de la compagnie italienne Ariston et de l'Allemand Bosch ont été placées sous la direction du russe Gazprom.

Les entités russes du brasseur Carlsberg et du géant des produits laitiers Danone avaient déjà subi le même sort. Les douze usines et les 7200 salariés de la multinationale française ont d'abord été pris en main par un neveu du dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov, avant que le Kremlin ne décide finalement de sortir Danone de sa liste de sociétés sous contrôle. Mais il a imposé que son futur repreneur soit agréé.

Vladimir Poutine a lui-même indiqué que les entreprises provenant de pays qu'il qualifie d''inamicaux' pourraient faire l'objet de mesures de rétorsion liées au fait que les avoirs russes ont été gelés dans les pays en question

Julien Verceuil, professeur d'économie à l'Institut national des langues et civilisations orientales à Paris

Vladimir Poutine utilise les entreprises étrangères comme une arme pour faire pression sur les pays occidentaux et il ne s'en cache pas, selon Julien Verceuil.

"Il a lui-même indiqué que les entreprises provenant de pays qu'il qualifie d''inamicaux' pourraient faire l'objet de mesures de rétorsion liées au fait que les avoirs russes ont été gelés dans les pays en question. C'est assumé et c'est indiqué de manière officielle, y compris par Dmitri Peskov [le porte-parole du Kremlin, ndlr]", souligne-t-il.

Sujet radio: Francesca Argiroffo

Adaptation web: juma

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Profit pour certaines entreprises restées sur place

Certaines sociétés occidentales ont fait le choix de rester en Russie. Parmi elles, celles des secteurs du tabac et de l'alcool, suivies des entreprises de production de biens de consommation sont les plus rentables, selon Irina Pavlova de la coalition d'ONG Be4Ukraine. Elle rapporte aussi qu'il y a beaucoup d'entreprises suisses.

"Je pense à Nestlé, Mondelez, Unilever, Procter and Gamble, etc. Ce qui les unit toutes, c'est qu'elles sont très rentables, qu'elles ont une présence physique dans le pays et qu'elles utilisent les mêmes justifications pour y rester. La principale étant qu'elles fournissent des biens et des services essentiels à la population russe", indique-t-elle.

"La définition de produits 'essentiels' est floue. La plupart d'entre elles fabriquent des chocolats, des biscuits ou des articles d'hygiène personnelle qui ne sont pas véritablement essentiels... Les autres fournisseurs locaux pourraient les remplacer facilement", estime-t-elle.

Aucune de ces entreprises n'a pour le moment décidé de partir, bien qu'elles aient réduit certaines activités commerciales, diminué des investissements et leur publicité pour se faire plus discrètes.

Le vent en poupe du secteur bancaire occidental

Les entreprises du secteur bancaire encore sur place ont également une situation financière favorable. Parmi elles, les sept principales banques européennes ont enregistré un bénéfice de près de trois milliards de francs en 2023, soit trois fois plus qu'avant la guerre, rapporte le Financial Times. Elles ont aussi payé quatre fois plus d'impôts à l'Etat et bénéficient d'un avantage comparatif certain par rapport aux autres banques russes sous sanctions.

La plus grande d'entre elles, l'autrichienne Raiffeisen International, dispose d'un énorme réseau d'agences de détail et gérerait près de 50% des transactions internationales du pays. C'est pourquoi les pressions s'accentuent sur elle en Europe et aux Etats-Unis pour la pousser à réduire la voilure dans le pays. Plusieurs organisations militent pour qu'elle quitte définitivement le pays.