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L'arrivée des F-16 en Ukraine et l'incertitude de leur impact sur le conflit

Deux F-16 de l'armée de l'air roumaine effectuent des survols lors de l'inauguration du Centre européen d'entraînement F-16 à Fetesti, le 13 novembre 2023 (image d'illustration). [via REUTERS - George Calin]
Deux F-16 de l'armée de l'air roumaine effectuent des survols lors de l'inauguration du Centre européen d'entraînement F-16 à Fetesti, le 13 novembre 2023 (image d'illustration). - [via REUTERS - George Calin]
Réclamés par Kiev depuis le début du conflit avec la Russie, les premiers avions de chasse F-16 sont désormais arrivés en Ukraine. Livrés par les alliés occidentaux, ces appareils de confection américaine doivent servir à contrer la domination aérienne russe. Mais de nombreux obstacles se trouvent sur la route de ces avions de combat multirôles.

Grâce à sa flotte d'avions soviétiques Mig-29, SU-27 ou encore SU-25, mais surtout à ses systèmes de défense antiaérienne S-300, BUK ou encore Tor, l'Ukraine a longtemps pu empêcher l'armée de l'air russe d'acquérir une domination aérienne nette.

Mais deux ans et demi après le début du conflit, la capacité à entraver les frappes russes s'étiole, malgré la livraison de matériel occidental plus performant, comme les systèmes américains Patriot. En mai 2024, une analyse du New York Times a démontré que l'Ukraine n'arrivait plus qu'à intercepter 50% des projectiles, contre 80% un an auparavant.

>> Revoir cette archive de La Matinale de septembre 2023 sur l'arrivée prochaine des avions F-16 :

L’Ukraine recevra des avions de combat F-16 de la part de l’Occident (vidéo)
En Ukraine, l'arrivée prochaine des avions F-16 ne fait pas rêver les troupes (vidéo) / La Matinale / 4 min. / le 4 septembre 2023

"Les Ukrainiens pensaient résoudre le problème en exploitant l’attrition des forces russes, en espérant qu’à terme, elles manqueraient de missiles de croisière, de missiles balistiques et d’autres types de munitions (...) mais ils observent au contraire qu'il y a une augmentation du nombre de missiles russes disponibles et de plus en plus de drones. La défense aérienne ukrainienne devient vraiment meilleure, mais le problème c'est que l'adversaire aussi, et qu'il y a une saturation du dispositif. Les Ukrainiens manquent de capacités de défense antiaérienne et de missiles antiaériens", confirme Yohann Michel, chargé d'études à l'Institut d'études de stratégie et défense (IESD) dans le podcast Le Collimateur.

"La campagne aérienne avec missiles et drones Shahed s'est étoffée. La Russie a réussi à créer un roulement et une pression continue et à sa convenance sur les villes ukrainiennes", confie dans le même média Vincent Touret, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). "Il y a eu une amélioration sur la quantité et sur la précision. Les Russes s'appuient énormément sur les drones, et notamment les Orlan 30, pour effectuer des frappes en profondeur qui commencent à revêtir un rôle opérationnel et à venir toucher des aéroports ou encore des concentrations de troupes", précise-t-il.

Nombre d'appareils, modèles et formation des pilotes

Pour tenter d'annihiler cet avantage russe de plus en plus conséquent dans les airs, Kiev compte donc en partie sur les F-16. Dotés d'importants systèmes de guerre électronique, de puissants radars et de moyens d'interceptions de missiles, ces avions doivent permettre, en coordination avec des défenses antiaériennes au sol comme les Patriot, de réduire la zone d'accès aérienne à l'ennemi.

Mais pour les experts, il sera difficile pour ces engins d'avoir un impact conséquent immédiat. Interrogé dans le New York Times, Hunter Stoll, analyste spécialisé dans les questions de défense pour la société de conseil RAND Corporation, explique que Moscou a eu le temps de préparer ses propres défenses le long de la ligne de front. "Les F-16 et leurs pilotes feront face à une résistance très importante de la part des défenses aériennes russes, à la fois au sol et dans le ciel", juge-t-il.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky et la Première ministre danoise Mette Frederiksen assis dans un avion de chasse F-16 à la base aérienne de Skrydstrup, à Vojens, au Danemark, le 20 août 2023 (image d'illustration). [via REUTERS - Claus Rasmussen]
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky et la Première ministre danoise Mette Frederiksen assis dans un avion de chasse F-16 à la base aérienne de Skrydstrup, à Vojens, au Danemark, le 20 août 2023 (image d'illustration). [via REUTERS - Claus Rasmussen]

Les pilotes, justement, pourraient par ailleurs être insuffisants en nombre. D'après des estimations fournies par des responsables ukrainiens et américains, seuls 20 d'entre eux devraient avoir été suffisamment formés pour les F-16 cette année dans les différents centres d'entraînement danois, néerlandais et américains. En comptant qu'il faut en général deux pilotes par appareil pour pouvoir reposer l'équipage, l'Ukraine ne devrait être en capacité d'utiliser que 10 de ces avions de combat en 2024. Autre facteur limitant pour l'Ukraine, le personnel au sol capable d'effectuer des travaux de maintenance sur ces avions de combat.

Un F-16 israélien photographié ici en décembre 2023 (image d'illustration). [REUTERS - Amir Cohen]
Un F-16 israélien photographié ici en décembre 2023 (image d'illustration). [REUTERS - Amir Cohen]

Le nombre d'appareils fournis est aussi une problématique. Ils ne devraient être que six cet été et une vingtaine d'ici la fin de l'année, selon des renseignements obtenus par Bloomberg.

Quatre pays ont annoncé des transferts de chasseurs F-16 à l'Ukraine. Les Pays-Bas, avec 24 exemplaires, le Danemark (19), la Norvège (6) et la Belgique (30), pour un total de 79 appareils. Mais les temps de livraisons sont très variables. Bruxelles, qui attend de pouvoir remplacer sa flotte de F-16 par des F-35, a promis ses F-16 à Kiev "entre 2024 et 2028". Un délai jugé inacceptable pour Kiev.

Outre le nombre d'avions sans doute insuffisant et les livraisons toujours trop lentes, c'est le type d'appareil qui est même questionné en Ukraine, car il ne s'agit pas des derniers modèles de F-16. "C'est à peine mieux que des Mig-29", "la portée des armements des avions russes de nouvelle génération est deux fois supérieure", "les F-16 ne changeront pas le cours de la guerre". Plusieurs témoignages de sources militaires récoltés par Le Figaro montrent que les experts doutent de l'impact de ces nouveaux avions sur le champ de bataille face aux capacités russes.

Un chasseur-bombardier Sukhoi su-34 se produit lors d'un vol de démonstration au spectacle aérien MAKS 2017 à Zhukovsky, à l'extérieur de Moscou, en Russie, le 21 juillet 2017. REUTERS/Sergei Karpukhin [reuters - Sergei Karpukhin]
Un chasseur-bombardier Sukhoi Su-34 lors d'un vol de démonstration à Zhukovsky, à l'extérieur de Moscou, le 21 juillet 2017. (image d'illustration) [reuters - Sergei Karpukhin]

Des avions attendus de pied ferme

Si l'efficacité des F-16 en Ukraine reste donc encore à démontrer, les avions de chasse devront aussi être préservés avant de pouvoir décoller. Il s'agit donc de les dissimuler de manière efficace pour éviter qu'ils ne soient détruits au sol.

Depuis le mois de juillet, la Russie a d'ailleurs augmenté ses frappes, sans doute en prévision de l'arrivée des F-16. Au moins trois aérodromes ont été attaqués: Myrhorod et Kryvyï Rig dans le centre de l'Ukraine et un dans la région d'Odessa (sud).

Jusqu'à présent, l'armée de l'air ukrainienne a essentiellement compté sur des tactiques de dispersion sur le territoire pour préserver ses avions de combat au sol. Plusieurs frappes russes sur des aérodromes ont ainsi fait peu de dégâts, touchant par exemple le tarmac, mais sans abîmer d'avions ou alors seulement des modèles anciens faisant office de leurres.

Interrogé par la BBC, Justin Bronk, chercheur principal pour le think tank britannique Royal United Services Institute (RUSI), estime que ce type de manoeuvre pourrait s'avérer plus difficile avec des F-16.

"Les F-16 nécessitent des pistes parfaitement lisses, débarrassées des pierres et autres gravats, pour éviter le risque de défaillance du moteur. Et toute tentative d'amélioration des infrastructures sur les bases existantes sera visible des Russes", analyse-t-il.

Un rôle avant tout défensif

Conscient du risque de voir ses F-16 détruits au sol, le pouvoir ukrainien prévoit de nouvelles tactiques. Le général Sergiy Golubtsov, commandant de la force aérienne ukrainienne, a ainsi affirmé que certains appareils pourraient être stockés dans des bases hors d'Ukraine, et faire office de réserve. Kiev a également débuté depuis plusieurs mois la construction de hangars souterrains bunkerisés pour entreposer les avions de combat américains.

Ce n'est donc qu'à la seule condition de parvenir à protéger ses F-16 au sol que l'Ukraine pourra les utiliser efficacement pour repousser les avions russes ennemis et détruire les missiles et des drones, conjointement avec ses systèmes de défense antiaérienne. Conçus également pour l'attaque et la couverture de troupes, les F-16 ne devraient donc dans un premier temps qu'être voués à des tâches défensives.

S'approcher des lignes de front comporteraient en effet des risques conséquents. "Si les avions volent à haute altitude, ils seront vulnérables aux systèmes de défense aérienne russes (...) et s'ils volent à basse altitude, ils devront pénétrer plus profondément dans le territoire russe pour donner à leurs missiles une portée suffisante, ce qui comporte des risques encore plus grands", résume Justin Bronk.

Pour pouvoir s'approcher du front et avoir un rôle plus offensif, il faudra donc d'abord effectuer un travail systématique de destruction de radars et de systèmes de défense antiaérienne russes. Un travail que l'Ukraine a déjà commencé, avec un certain succès par endroits, comme en Crimée, mais qui demande beaucoup de temps, dû à la densité du réseau défensif russe.

Tristan Hertig

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