Les discussions piétinent au niveau européen pour taxer les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple, auxquels on rajoute désormais Microsoft).
La France est le premier pays à avoir perdu patience. Son ministre des Finances a annoncé fin 2018 qu'il taxera les GAFA dès le 1er janvier 2019. Mais sur leur chiffre d'affaires (3%), et non sur leurs bénéfices.
>> A relire : La France perd patience et taxera les GAFA dès le 1er janvier 2019
Une décision unilatérale qui a scandalisé le directeur d'Amazon France, Frédéric Duval, qui s'est exprimé sur les ondes de RTL: "On taxe le chiffre d'affaires et non pas le profit. Je pense que c'est dangereux."
Moins favorable, mais plus rapide
Pour Robert Danon, directeur du centre de politique fiscale de l'Université de Lausanne (UNIL), "le problème de cette taxe sur le chiffre d'affaires, c'est que la compatibilité de cette taxe avec les standards internationaux est douteuse. Elle crée des effets distorsifs, parce qu'elle vise certaines entreprises uniquement", explique-t-il à la RTS.
D'autres solutions à l'étude sont préférables, selon lui, comme celle proposée par l'OCDE et les pays du G20. Il s'agit d'une solution plus globale qui consiste à revoir les règles de répartition du bénéfice entre les Etats de résidence des entreprises et les Etats de marché, pour donner une part plus importante à l'Etat de marché. Un système qui serait combiné avec une imposition minimum du bénéfice des GAFA.
Le problème de cette solution est la lenteur du processus. Un premier retour de l'OCDE est attendu fin janvier. "Si tout va bien, un consensus international sera trouvé d'ici 2020", dit Robert Danon.
Trois autres pays annoncent des mesures unilatérales
Beaucoup trop lent pour plusieurs pays, qui ont d'ores et déjà annoncé qu'ils allaient suivre la France. Une semaine après la déclaration du ministre français des Finances, le chancelier autrichien annonçait l'introduction d'une taxe numérique. Les détails et la mise en oeuvre devraient être dévoilés ce mois de janvier.
En Suisse, une interpellation déposée fin 2017 au Conseil des Etats proposait de suivre la proposition française de taxer le chiffre d'affaires des GAFA. Mais le Conseil fédéral, dans sa réponse en février 2018, avait affirmé qu'il n'était "pas nécessaire d'introduire des règles spéciales pour imposer l'économie numérique", préférant s'aligner aux mesures qui seront adoptées sur le plan international au sein de l'OCDE.
D'autres pays ont toutefois tranché dans le sens de la France. Ce mardi, la porte-parole du fisc israélien a affirmé être en négociation avec les multinationales implantées dans le pays afin qu'elles s'acquittent de l'intégralité de l'impôt sur leurs bénéfices. "Si dans les prochains mois, nous ne parvenons pas à des arrangements avec elles, nous leur imposerons des taxes basées sur nos estimations, quitte à ce qu'elles puissent les contester devant des tribunaux", a-t-elle souligné.
Quant à la Grande-Bretagne, elle prévoit déjà dans son budget 2019-2020 une imposition de 2% sur les chiffres d'affaires réalisés sur son sol.
Optimisation fiscale pour des chiffres d'affaires colossaux
Une course contre la montre se prépare donc pour éviter une cacophonie internationale. Et c'est peut-être l'un des objectifs de ces initiatives unilatérales: accélérer l'acceptation d'un consensus global. Car le ressentiment de la population se fait de plus en plus vif, au regard des milliards de dollars de chiffre d'affaires qu'engrangent ces géants du numérique dans les pays du monde entier, sans payer d'impôts.
Car selon les règles actuelles, une entreprise ne paie des impôts dans un pays que si elle y dispose d'une présence physique. Or, les GAFA opèrent dans plusieurs marchés sans y avoir une présence physique.
Et pour minimiser leurs taxes, les GAFA ont transféré leur présence physique dans des pays où la fiscalité est la plus avantageuse, comme l'Irlande ou le Luxembourg.
Division européenne
Ce sont notamment ces pays ainsi que des Etats scandinaves qui bloquaient jusqu'ici les discussions européennes pour une taxe commune.
L'Irlande profite en effet de la présence sur son sol du siège social européen de Google, Microsoft, Apple et Facebook. Le Luxembourg héberge Amazon. Quant à la Suède, elle veut protéger son géant du numérique Spotify, leader mondial du streaming musical.
Invité du 19h30, le conseiller aux Etats Robert Cramer (Verts/GE) souligne l'importance d'une solution globale afin d'éviter ce système d'optimisation fiscal: "Ces entreprises sont une puissance gigantesque. Et je pense que c'est pour cela que le gouvernement suisse a raison d'affirmer que ce n'est pas la Suisse toute seule qui va pouvoir faire quelque chose. On doit le faire dans un cadre beaucoup plus large."
Delphine Gianora et Feriel Mestiri