Quelque 20'000 acteurs de la branche horlogère étaient attendus à Palexpo Genève. Pour H.Moser & Cie, l'une des 17 marques installées dans le carré des horlogers, ce salon est l'occasion à ne pas manquer.
Le coût important que cela représente, chiffré à plusieurs centaines de milliers de francs, en vaut la peine: "Les salons amènent beaucoup de monde au même endroit. En quatre jours, on y rencontre 650 médias, 200 à 300 détaillants, mais aussi désormais des clients finaux, qui ont une valeur inestimable", affirme au 19h30 Edouard Meylan, le directeur de H.Moser & Cie.
Le départ de deux grands
Autour du carré des horlogers, 18 grandes maisons exposantes sont présentes cette année. Mais pour deux d'entre elles et pas des moindres, cette édition sera la dernière: Audemars Piguet et Richard Mille.
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Ces deux marques enregistrent des croissances parmi les plus importantes dans l'horlogerie ces 10 dernières années. La première, qui connaît depuis quelques années une croissance à deux chiffres, vient de franchir une barre symbolique en réalisant en 2018 un chiffre d'affaires de 1,1 milliard de francs.
La seconde affiche elle aussi une croissance insolente de 15% en 2018 à plus de 300 millions de chiffre d'affaires. Fondée en 2001, elle s'est rapidement fait une place aux côtés des plus grands.
L'annonce de ces deux départs intervient alors que cette 29e édition a déjà vu disparaître, dans la plus grande discrétion, Van Cleef & Arpels, deuxième plus grosse entreprise du groupe Richemont, groupe à l'origine de la tenue du SIHH à Genève.
Les petits horlogers impactés
Ces départs ne sont pas sans douleur pour ce type de salon. "Quand des grands comme Swatch Group quittent le salon de Baselworld, ce sont les petits horlogers qui en souffrent. Ces derniers profitent des gros détaillants qui viennent rendre visite aux grandes maisons horlogères", analyse Michel Jeannot, fondateur du bureau d'information et de presse horlogère (BIPH).
Difficile pour autant de penser que le SIHH est menacé de mort en voyant la foule qui s'est pressée lundi matin, à l'ouverture des portes. "Il est vrai que ce genre d'événements crée le buzz. Mais il ne faut pas négliger le fait que la plupart des gens ont été invités par les marques. Je pense que l'événement est devenu plus médiatique qu'utile", estime l'expert en horlogerie Michel Jeannot.
D'abord essentiellement commercial, pour se tourner vers une plateforme de communication, le SIHH s'ouvre désormais au public, le temps d'une journée.
Augmenter les marges en contrôlant seul la distribution
Insuffisant, pour Audemars Piguet. "Aujourd’hui, nous avons besoin d'accéder à nos clients finaux. Le monde de l'horlogerie et sa distribution a beaucoup évolué ces 10 dernières années", affirme François-Henry Bennahmias, directeur général d'Audemars Piguet.
Depuis six ans, la marque vaudoise a considérablement réduit son réseau de distribution pour créer ses propres magasins. Son but: reprendre la maîtrise totale de son calendrier au niveau de la communication, de la production et de ses contacts clients. "On est la dernière industrie capable de vendre des produits pour des montants à 5 ou 6 chiffres sans savoir qui est le client final. Ce n’est plus possible", lance le directeur.
Si la plupart des salons en Suisse connaissent des moments difficiles, menacés notamment par le développement des plateformes numériques, le principal défi pour l'horlogerie est tout autre.
Tout comme Richard Mille, Audemars Piguet n'a plus besoin d'être abordé par des détaillants dans les salons. Ces grandes marques ont désormais leurs propres filiales et leurs propres boutiques, augmentant ainsi leurs marges et contrôlant tout, de leur image au calendrier en passant par ce qui est présenté sur les points de ventes.
Se réinventer
Consciente de cet enjeu, Fabienne Lupo, présidente du SIHH, sait qu'il faut se réinventer. "Et c'est ce que nous sommes en train de faire depuis trois ans, en nous ouvrant à de nouvelles audiences, ou avec un nouvel espace 'Lab', dédié aux initiatives digitales et technologiques des maisons."
Selon elle, ces deux gros départs n'annoncent en rien le déclin du salon: "Nous avons 35 maisons sur le SIHH et la majorité pense le contraire. Ce salon est une plateforme où toute la communauté des experts de l'horlogerie se retrouvent. La plupart des marques ont toujours besoin de ce rassemblement."
Pour l'expert en horlogerie Michel Jeannot, cette tendance à la maîtrise de toute la filière de distribution, principale menace aux salons horlogers, devrait s'accroître ces prochaines années. Mais avec toutefois une certaines limite. "Les grands qui quittent les salons ont les moyens financiers pour créer leurs propres événements et inviter tout le gratin à Miami, par exemple. Mais on ne peut pas imaginer que 30 marques fassent la même chose. D'un point de vue organisationnel, ce ne serait plus gérable."
Feriel Mestiri et Nicolas Rossé
Contexte incertain de l'horlogerie en 2019
Après avoir enregistré deux ans de baisse, la demande horlogère a repris des couleurs en 2017. L'année 2018 s'annonce également positive. Les exportations horlogères, entre janvier et novembre, ont augmenté de 7%, à 19,5 milliards de francs.
Mais les défis sont nombreux pour l'année 2019. En tête, les tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine, deuxième et troisième marchés les plus important pour la Suisse. Ces tensions sont susceptibles d'impacter le moral des acheteurs de haute horlogerie.
Edouard Meylan, le directeur de H.Moser & Cie, surveille cette situation de près: "Nous avons senti à partir d'octobre un fléchissement sur le marché de Hong Kong. Si une guerre commerciale se déclare, cela n'aura pas d'impact sur le pouvoir d'achat, mais sur l'état d'esprit. Il suffit que l'immobilier baisse un peu, que la bourse baisse un peu, pour que les gens n'achètent plus de montres."