Personne n'a réalisé, à ce moment-là, que cette plateforme se développerait en un réseau social valorisé à des milliards de dollars. Et surtout, personne n'anticipait alors son impact sur le monde à plus long terme. Instrument politique, de communication, parfois de manipulation... les implications - et les critiques qui s'élèvent à son encontre - sont multiples.
"Facebook était une vraie révolution, c'était la première plateforme gratuite, accessible facilement et sur tous les supports, portables et autres, qui permettait d'échanger avec ses amis, sa famille et autres", explique la sociologue du digital Catherine Lejealle lundi dans La Matinale. "C'était aussi la première fois qu'on remarquait que nos données avaient un prix, que si c'était gratuit, c'est parce que les données personnelles étaient revendues."
Très bons résultats financiers...
Pour cette professeure et chercheuse à l'Institut supérieur du commerce de Paris, Facebook a aujourd'hui "de très bons résultats financiers", mais "un vrai désamour auprès des jeunes", qui s'y inscrivent "comme auprès d'un annuaire", mais préfèrent des applications "plus ludiques, comme Snapchat".
Aujourd'hui, on s'inscrit sur Facebook comme on s'inscrivait dans l'annuaire téléphonique
Pour autant, Catherine Lejealle estime que Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, sait parfaitement ce qu'il fait du réseau social. "Il a suffisamment d'argent pour pouvoir tester des applications (...), voire en racheter, comme Instagram ou WhatsApp, des possibilités infinies dans la vie professionnelle et la vie privée."
... mais des fragilités
La spécialiste pointe toutefois une fragilité dans le modèle de Facebook, la revente des données personnelles aux publicitaires. "Les géants chinois comme WeChat ou Baido intègrent eux des transactions financières et prennent une commission sur celles-ci, ce qui les rend moins dépendants aux données personnelles."
Les scandales liés à l'usage des données personnelles, ainsi qu'à l'ingérence supposée ou prouvée dans des processus d'élection, montrent une force de Facebook: sa situation multinationale fait que les Etats ont de la peine à lui imposer une réglementation contraignante sur l'usage des données personnelles.
Et Catherine Lejealle de citer le règlement européen RGPD qui permet d'assigner la compagnie à hauteur de 4% du bénéfice de la compagnie en cas de non-respect du règlement, tout en tempérant son efficacité: "Si on regarde le règlement précédent, sur le droit à l'oubli, qui concernait surtout les résultats de recherches sur Google, les résultats controversés ont été retirés du référencement de Google en Europe, mais on peut encore les trouver sur les sites asiatiques ou américains."
Des défis pour durer
La sociologue met en évidence le succès de Facebook dans la durée: arrivée la première sur le marché, la plateforme a pu bénéficier de la "prime au premier entrant" sur le marché, abonnant des milliards d'utilisateurs. "Mais est-ce que les vrais usages, la vraie activité ne va pas aller ailleurs, sur des applications plus ludiques?" La spécialiste cite encore deux défis importants pour Facebook: résister à l'influence des réseaux sociaux chinois, ainsi que trouver un moyen d'intégrer le paiement en ligne.
Propos recueillis par Chrystel Domenjoz/ebz