Le Centre suisse d'électronique et de microtechnique (CSEM), à Neuchâtel, est une sorte de "passeur" entre la recherche, l'innovation et l'industrie suisse. Il rend les innovations technologiques concrètes pour les besoins - notamment - des PME. Il est donc au cœur de la numérisation en cours, la fameuse 4e révolution industrielle.
La Suisse est le pays qui a le plus besoin de la digitalisation, à cause de la cherté de la main d'œuvre.
Et pour le directeur du CSEM Mario El-Khoury, il ne s'agit pas de se demander où se situe aujourd'hui la Suisse dans ce mouvement, mais "de savoir si la Suisse doit sauter les yeux fermés dans cette révolution ou ce grand tournant. Et la réponse est clairement 'oui' dans tous les indicateurs", assure-t-il lundi dans La Matinale. "D'un côté, les études ont montré que la Suisse était la plus prête, du point de vue infrastructures, du point de vue mentalité des entreprises, des PME, à faire ce saut. Et d'un autre côté, la Suisse est le pays qui en a le plus besoin, à cause de la cherté de la main d'œuvre dans nos produits."
Probablement que nous avons réalisé un peu tard l'ampleur de cette vague.
Pourtant, si la Suisse est aujourd'hui à la pointe dans ce domaine, elle ne s'en donne pas encore forcément tous les moyens. "Probablement que nous avons réalisé un peu tard, du point de vue de la formation, l'ampleur de cette vague", souligne le docteur d'origine libanaise formé à l'EPFL. Mais toutes les écoles - formation de base, écoles des métiers, jusqu'aux grandes écoles, les universités - sont en train de mettre tout en œuvre pour nous fournir la main d'œuvre qualifiée nécessaire dans ce domaine", assure Mario El-Khoury.
Beaucoup de craintes chez les PME
"La grande question, qui rend la chose difficile, c'est les moyens. Les grandes entreprises ont déjà fait le virage quand elles ont senti l'intérêt, mais la Suisse se compose principalement de PME. Et pour elles, prendre le virage pose beaucoup plus de craintes et de questions que d'enthousiasme actuellement. Notre rôle, nous les écoles, les universités, est de leur dire: venez, nous sommes là pour vous aider à prendre ce virage."
La presse fourmille d'exemples de grandes entreprises investissant des centaines de millions de francs pour automatiser entièrement leur industrie. "Et ça, ça fait peur à un investisseur dans une PME", remarque le directeur du CSEM. "Or notre message est toujours le même: il faut commencer (…) L'important est de commencer, prendre le goût à la digitalisation, attraper le virus de la digitalisation. On peut se rater sur un premier produit, mais au moins on aura acquis le know how nécessaire pour le faire. C'est lié à la taille et aux moyens d'investissement."
On ne sait pas si cette nouvelle révolution va dévaster les emplois dans l'industrie.
Une autre grande crainte, dans l'opinion publique cette fois, est que cette 4e révolution industrielle entraîne d'importantes pertes d'emplois. Et pour Mario El-Khoury, "on n'est sûr que d'une seule chose, c'est que les prédictions vont se tromper. On ne sait pas si cette nouvelle révolution va dévaster les emplois dans l'industrie."
Ce spécialiste estime cependant que ce ne sera pas le cas. "Je crois qu'il y aura une mutation claire dans les emplois, je crois qu'on en parle beaucoup plus maintenant parce qu'on commence à toucher à un genre d'emplois qui n'étaient pas touchés avant (…) on va commencer à toucher aux cols blancs, au personnel administratif qui était jusqu'à présent intouchable par la 3e révolution industrielle."
Mario El-Khoury souligne que tout le monde ne peut pas devenir chercheur en intelligence artificielle. "Il faut toujours pouvoir offrir des emplois pour des opérateurs, des gens pas énormément qualifiés, pour maintenir la cohésion sociale en Suisse, et c'est le but pour lequel nous nous battons au CSEM et dans d'autres institutions: maintenir des emplois dans l'industrie."
Propos recueillis par Valérie Hauert/oang