Rognons, tripes ou autres abats sont devenus des produits de niche: les consommateurs les délaissent au profit des pièces de viande plus nobles.
Conséquence de ce désamour, certains morceaux ont perdu beaucoup de valeur marchande. Le prix de certaines pièces de boeuf a ainsi diminué de 5% alors que les bas-morceaux ont perdu jusqu'à un tiers de leur valeur chez le porc.
C'est un phénomène paradoxal que l'on observe en Suisse: depuis 1950, la consommation de viande par personne a doublé, mais elle est aussi devenue beaucoup moins variée.
Manger "nose to tail"
Pour inverser la donne, l'interprofession de la branche, Proviande, essaie depuis plusieurs années déjà de sensibiliser les consommateurs. Cette tendance porte même un nom marketing aléchant: manger "nose to tail" (du nez à la queue.) La faîtière a par exemple lancé l'application "Viande Suisse Academy" pour apprendre à cuisiner sans discrimination tous les morceaux.
Une responsabilité envers les animaux
"C'est une question qui touche à nos ressources et une responsabilité que nous avons envers les animaux et l'environnement", relève le responsable du développement durable chez Proviande lundi dans le 12h30. "Mais c'est évidemment aussi une question éthique", poursuit Werner Siegenthaler: "Quand on abat un animal, on a le devoir d'en utiliser le plus possible. Actuellement, on n'a peut-être pas toujours bien conscience de notre manière de consommer, ça n'est pas forcément une préoccupation majeure. Et là, je pense que nous avons une mission de sensibilisation."
L'interprofession vise les consommateurs mais aussi les restaurateurs, puisque 50% de la viande est consommée hors du domicile. Tous les principaux distributeurs suisses, contactés par la RTS, se revendiquent du reste de la tendance "nose to tail". Mais force est de constater que ces produits non-transformés sont toujours rares en rayons.
Valoriser via des plats précuisinés
Dans certaines boucheries artisanales, on s'efforce tout de même de trouver des solutions. "J'ai de la chance, personnellement j'ai encore des clients qui sont intéressés à m'acheter ces bas-morceaux" constate Vincent Junod, boucher à Sainte-Croix (VD).
Ce dernier s'efforce de rentabiliser au maximum les bêtes abattues, et il a une recette pour y parvenir: "C'est vraiment rare que je vende les tripes précuites, simples", explique-t-il. "Mais elles se vendent très bien en Milanaise ou en plat déjà préparé. J'ai aussi la langue de bœuf. Je ne sais pas si tout le monde sait encore cuire une langue de bœuf. Je pense que le problème numéro un est le savoir en cuisine. Et ça demande aussi du temps, beaucoup d'investissement."
Il faudra se réhabituer aux bas-morceaux
Le consommateur n'est effectivement pas forcément prêt à prendre le temps de cuisiner ces pièces moins nobles, mais la tendance revient progressivement - par exemple avec le "slow food".
D'ailleurs, si on veut se rapprocher d'une consommation de viande locale et écologique, il faudra bien se réhabituer à ces bas-morceaux, note Vincent Junod: on ne peut pas en toute conscience abattre un animal, dit-il, juste pour son steak.
Joëlle Cachin/oang