Passer d'un système où on taxe une société là où elle a son siège social, à un autre dans lequel l'imposition a lieu à l'endroit où elle a son marché et réalise son chiffre d'affaires: tel est l'objectif des réformes fiscales actuellement discutées au sein de l'OCDE. Objectif: éviter que certaines entreprises, notamment les géants du numérique, ne réalisent d'importants bénéfices sur des territoires sur lesquels elles ne sont pas présentes physiquement, échappant ainsi à toute imposition.
Selon certains experts, cette transition pourrait être explosive pour la Suisse, qui dispose d'un petit marché mais accueille beaucoup de sièges sociaux d'entreprises étrangères. Pire, elle pourrait subir une "double peine", car la nouvelle taxation pourrait ne pas toucher uniquement les sociétés du numérique. Les Etats-Unis souhaitent, en effet, qu'elle s'applique aussi aux entreprises d'exportation traditionnelles. Autrement dit, la Suisse pourrait voir l'imposition des multinationales installées sur son sol lui échapper, tout en voyant ses propres multinationales exportatrices taxées à l'étranger.
L'instabilité, le véritable danger
Interrogé par la RTS, le directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE Pascal Saint-Amans se veut toutefois rassurant: "A ce stade, il n'y a aucun drame, ni aucune inquiétude particulière à avoir, même s'il est normal que la Suisse soit vigilante. On essaie, avec et pas contre la Suisse, d'avoir des règles acceptées par tous et qui permettent aux entreprises de se concentrer sur leurs investissements plutôt que sur des problèmes fiscaux", a-t-il déclaré dans La Matinale ce mardi.
Il faut sortir du système où chacun tire à vue, prend des mesures unilatérales, parce que c'est mauvais pour tout le monde
Selon lui, le véritable danger qui pèse sur les petites économies ouvertes comme celle de la Suisse, c'est l'instabilité sur le plan économique et fiscal. "Aujourd'hui, les tensions sont très fortes. Il suffit de voir ce qui se passe en France, en Italie, en Espagne, avec l'instauration de taxes sur les GAFA" (les quatre géants du web: Google, Apple, Facebook, Amazon), prévient le responsable de la politique fiscale de l'OCDE. "Il faut sortir du système où chacun tire à vue, prend des mesures unilatérales, parce que c'est mauvais pour tout le monde", insiste-t-il, comme l'ont d'ailleurs souligné les ministres sur G20 réunis au Japon il y a une semaine.
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"Une guerre fiscale serait particulièrement toxique"
Il ne pense pas que la Suisse sera doublement pénalisée par cette réforme: "Ce n'est pas un changement fondamental qui s'annonce. La Suisse ne perdrait pas le droit d'imposer les multinationales qui sont sur son territoire. On ne parle que de l'imposition d'une portion du bénéfice des entreprises dans les pays où elles les réalisent, portion pas nécessairement très importante", relativise Pascal Saint-Amans. Il souligne au passage que le secteur bancaire helvète, après s'être beaucoup inquiété de l'abandon du secret bancaire, a finalement négocié le virage avec succès et n'a pas perdu massivement de son attractivité.
Le patron de la politique fiscale de l'OCDE met également en garde contre un échec du projet: "Regardez l'état du monde aujourd'hui: on parle de guerre commerciale, il y a des mesures unilatérales à tous les niveaux. Une guerre fiscale en sus de tout cela serait particulièrement toxique, en particulier pour les petits économies ouvertes et compétitives comme c'est le cas pour la Suisse".