Le passeport américain peut être encombrant lorsqu’on habite à l’étranger. Anne Hornung-Soukup en sait quelque chose. Cette Genevoise, arrivée en Suisse il y a 40 ans, est binationale. Même si elle reste très attachée à ses racines, elle déplore les exigences de l’administration américaine.
Chaque année, en plus de payer ses impôts en Suisse, elle dépense ainsi plusieurs milliers de francs auprès d’un professionnel pour faire établir sa déclaration fiscale. Parfois, en fonction des revenus déclarés, le fisc américain (IRS) lui réclame quelques centaines de dollars. "Même si c'est de temps en temps, 300 dollars ou 800 dollars, ça reste un petit peu en travers de la gorge", lâche Anne Hornung-Soukup.
Pour une taxation basée sur la résidence
C’est pour mettre fin à ce régime jugé injuste envers les Américains de l’étranger que leurs lobbies, parmi lesquels l’organisation American Citizens Abroad (ACA), appuient les efforts pour changer les règles au Congrès. Un projet de loi est en ce moment sur la table, porté par le député républicain George Holding. L’objectif est de mettre fin à la taxation basée sur la nationalité, et d’adopter le principe de la taxation basée sur le lieu de résidence, comme dans le reste du monde.
Ce projet de loi va-t-il aboutir ? Le directeur juridique d'ACA, l’avocat Charles Bruce, évalue les chances à 50%. Mais pour lui, c’est une question de temps : "Je crois que cela va se produire, tôt ou tard. Le plus tôt possible, j’espère." Charles Bruce estime que la taxation des Américains sur la base de la nationalité a quelque chose de dingue ("crazy"). "Les Etats-Unis investissent énormément d’énergie pour pourchasser les Américains de l’étranger. Ce n’est pas très efficace. Ce n’est pas très drôle pour les Américains de l’étranger. Et ça ne concerne même pas de si grandes sommes d’argent."
"Un instrument de contrôle"
Alors, c’est pour demain ? Cette injustice va-t-elle être réparée prochainement ? David Forbes-Jaeger n’y croit pas. Pour cet avocat basé à Genève et né aux Etats-Unis, les Américains de l’étranger ne comptent pas vraiment au pays. Et ils ont l’air suspect. "Si des Américains vivent longtemps à l’extérieur du pays, on les soupçonne de ne pas aimer le paradis sur Terre [les USA]", développe David Forbes-Jaeger.
Et puis il y a un autre argument pour ne rien changer au système, selon l’homme de loi. "Je ne pense pas que les Etats-Unis soient prêts à changer une loi qui leur est fortement favorable. Parce qu'en fait, toute loi a toujours un aspect de contrôle. Le système actuel, c'est le meilleur moyen de contrôler les citoyens à l'étranger."
Patrick Le Fort avec la collaboration de Philippe Revaz
Des Américains de Suisse particulièrement touchés
La chasse aux exilés fiscaux américains s’est accentuée depuis les années 2000. Ces démarches ont fait des dommages collatéraux. Des amendes records ont été infligées à des citoyens américains expatriés qui n’avaient pas rempli leur devoir fiscal.
A cela s’ajoutent les nouvelles règles de transparence bancaire, appelées Fatca, introduites en 2010, et que les établissements financiers helvétiques doivent appliquer depuis 2014. "A la suite des agissements de l’UBS [qui avait aidé à l’évasion fiscale de citoyens américains], le Département de la Justice et le gouvernement américain ont saisi l’occasion de donner une leçon, en faisant de la Suisse un exemple", avance l’avocat David Forbes-Jaeger. Les conséquences concrètes ne se sont pas fait attendre pour les Américains vivant dans notre pays. Il est devenu plus difficile pour eux d’ouvrir des comptes bancaires.
Ces diverses complications ont incité des centaines de binationaux à rendre leur passeport américain ces dernières années en Suisse. "J'ai commencé à faire une liste de mes amis et connaissances à Genève qui avaient renoncé ", raconte Anne Hornung-Soukup. "Quand je suis arrivée à 25 ou 30 personnes, j'ai arrêté de compter."