Avec 1,4 milliard d’habitants et des consommateurs dont le pouvoir d’achat n’a cessé d’augmenter, la Chine représente un véritable eldorado pour de très nombreux grands groupes. Dans ces circonstances, l’objectif principal de ces entreprises est somme toute logique: créer une image positive auprès des citoyens et tenter par tous les moyens de ne pas les froisser.
Mais l'exercice s'avère peut-être plus difficile qu'ailleurs. Les internautes chinois semblent en effet souvent faire preuve d'une sensibilité nationaliste exacerbée qui, organisée, leur permet de très rapidement faire pression sur des entreprises qu'ils jugent irrespectueuses.
Sur Weibo ou Wechat, réseaux sociaux extrêmement populaires en Chine, les commentaires critiques, les insultes et les appels au boycott se multiplient et les marques incriminées, apeurées par les possibles conséquences économiques, choisissent dans la plupart des cas le chemin de la repentance.
Les excuses publiques, l'exemple de Dolce & Gabbana
Au mois de novembre 2018, c'est l'entreprise italienne de luxe Dolce & Gabbana (D&G) qui se trouve dans la tourmente. La société a alors prévu un grand défilé à Shanghai, où les stylistes doivent présenter plus de 300 vêtements devant près de 1500 personnes.
Problème, dans la promotion de cet événement, le groupe italien a décidé de tourner des petits clips parodiques, censés opposer avec humour la Chine et l'Italie.
Mais l'une des vidéos ne fait pas rire et crée au contraire une vive polémique. Le groupe est ouvertement accusé de racisme par les internautes chinois.
Sur cette vidéo, on aperçoit une jeune femme, probablement chinoise, qui essaie de manger des spécialités italiennes de taille démesurée, à l'aide de baguettes. Dans une posture ridicule, elle glousse et écoute les conseils d'un homme qui lui dit notamment en mandarin: "C'est encore beaucoup trop grand pour toi, n'est-ce pas ?"
La réaction des réseaux sociaux chinois ne se fait pas attendre. En quelques jours seulement, c'est plus de 120 millions de commentaires qui sont générés, la plupart très hostiles à la publicité.
Résultats, devant la pression populaire, le groupe prend la décision d'annuler son défilé. Certains invités avaient déjà communiqué leur intention de boycotter l'événement. C'est notamment le cas de la célèbre actrice Zhang Ziyi ou encore du chanteur Wang Junkai, ambassadeur de la marque qui décide, en soutien à l'image de son pays, de quitter cette fonction. Contrits, les stylistes et fondateurs de la marque, Domenico Dolce et Stefano Gabbana, publient une vidéo dans laquelle ils présentent leurs profondes excuses envers le peuple chinois.
Le coup de grâce viendra d'une institution chinoise beaucoup plus officielle. Comme un pied de nez à Dolce & Gabbana, la CCTV (réseau national de télévision chinois) republiera en effet habilement sur les réseaux sociaux, une vidéo qui souligne l'importance, l'histoire et la tradition des baguettes dans la culture chinoise.
Hong Kong et le principe de Chine unique
Plus récemment, des sociétés du secteur du luxe se sont à leur tour retrouvées dans une mauvaise situation sur la toile chinoise. En cause cette fois-ci, non pas une publicité jugée déplacée ou de mauvais goût mais une remise en cause, selon les internautes, du principe de Chine unique.
Ainsi, ceux qu'on appelle bien souvent les netizen, contraction anglaise des mots 'net' et 'citizen' (citoyens), ont débuté au coeur de la crise hongkongaise une véritable croisade pour débusquer les marques qui ne reconnaîtraient pas le principe de Chine unique. Sans surprise, l'offensive a trouvé plusieurs cibles.
Une offensive soutenue par les médias officiels
Le site spécialisé "What's on Weibo" a référencé les différentes compagnies étrangères prises à partie par des internautes de Chine continentale. En cause cette fois, diverses erreurs de listing qui classent Hong Kong ou Taïwan comme pays. Des détails découverts sur le site internet de ces marques ou directement sur certains de leurs produits.
Pour rappel, Hong Kong est une région administrative spéciale de la République populaire de Chine, au même titre que Macao. La ville dispose donc théoriquement d'un haut degré d'autonomie, qui se base sur la législation du "un pays, deux systèmes". Quant à Taïwan, l'île vit une indépendance "de facto" mais reste revendiquée par Pékin qui la considère comme une "province rebelle".
Si la controverse semble bel et bien avoir commencé à l'initiative d'internautes chinois, les médias officiels, le "Quotidien du Peuple" en tête, organe de presse du Comité central du parti communiste chinois, ont rendu compte de la situation et intensifié le mouvement. Ce dernier a notamment estimé que si les marques s'empressaient de présenter leurs excuses, elles devaient aussi "apprendre de leurs erreurs" et ne plus "remettre en cause le principe d'une Chine unique si elles souhaitent faire des affaires".
Selon le référencement de "What's on Weibo", au moins 11 marques se sont récemment attirées les foudres du web chinois par rapport à Hong Kong ou à Taïwan. Parmi elles, quelques marques mondialement connues comme Asics, Calvin Klein, Givenchy, Valentino, Versace, Swarovski ou encore Samsung.
L'immense majorité d'entre elles ont présenté des excuses publiques en exprimant leurs regrets et leur respect sans faille du principe de Chine unique.
Tristan Hertig