Emettrice de 15 milliards de tonnes d'équivalents CO2 (CO2-eq), la production de nourriture compte environ pour un tiers des émissions humaines mondiales de gaz à effet de serre. Sur ces 15 milliards, environ la moitié provient de la production de viande. Selon le rapport du GIEC Climate Change and Land publié mi-août, une réduction des émissions dans ce secteur serait nécessaire pour tenir l'objectif de l'Accord de Paris.
"Si aucun effort n'est fait, cela en impliquerait d'autres plus importants dans d'autres secteurs, comme l'énergie, où le remplacement des ressources fossiles devrait être plus rapide et plus profond", explique Edouard Davin, l'un des coauteurs du rapport. "Il faudrait un recours accru aux bioénergies, ce qui nécessite des terres et pourrait menacer la sécurité alimentaire", poursuit le chercheur de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich.
Consommer moins
La nécessité de réduire la consommation de viande concerne les pays développés, où celle-ci excède de loin une ration saine et durable, surtout en viande rouge. Selon Edouard Davin, une consommation en ligne avec l'objectif 1,5° serait de 15 kilos par an et par personne. En Suisse, cela représenterait une division par trois de la consommation actuelle moyenne, soit proche d'un régime flexitarien, permettant de réduire entre 25% et 50% les émissions de CO2-éq liées à l'alimentation, détaille le scientifique.
Depuis une dizaine d'années, la consommation de viande en Suisse s'est stabilisée à 50 kg par an et par personne. La ration avait culminé en 1987 autour de 60 kilos, après une hausse annuelle constante enregistrée depuis 1949 dans les statistiques de la filière. Selon Proviande, les Suisses se contentaient de 30 kilos de produits carnés par an à l'aube des Trente Glorieuses.
Potentiel de réduction
Selon une étude d'ESU-services de 2015 commandée par le WWF, les Suisses émettent en moyenne 1837 kg de CO2-eq par an pour se nourrir. Le chiffre varie de 2350 kg pour les gros mangeurs de viande et à 1124 pour un végane. Selon cette étude, le régime flexitarien limite les émissions à 1495 kg.
Au niveau mondial, le GIEC estime que le régime flexitarien (trois quarts de la consommation moyenne actuelle de viande remplacée par des protéines végétales) représenterait une économie de cinq milliards de tonnes de CO2-éq par an en 2050 selon un scénario business as usual. Un régime végane économiserait jusqu'à huit milliards de tonnes, selon le rapport paru en août, soit une division par deux de l'impact climatique de l'alimentation.
Produire mieux
L'autre levier pour limiter les émissions de gaz à effet de serre de la production animale consiste à optimiser l'élevage. "Pour les bovins par exemple, on peut recourir à des compléments alimentaires comme des graines de lin pour réduire les émissions de méthane", explique Edouard Davin. Le fourrage local est aussi à privilégier face à des aliments d'importation, comme le soja du Brésil par exemple. "D'autant qu'en plus du CO2 lié au transport, ces productions sont souvent issues de terres gagnées par la déforestation".
Selon le rapport du GIEC, le potentiel le plus élevé se trouve dans les pays en développement où l'alimentation des animaux de rente est la moins bonne. Là, l'efficience de l'élevage, y compris en termes d'émissions de gaz à effet de serre, pourrait être améliorée par "la rotation des pâturages, l'introduction de nouvelles variétés de fourrage, le recours aux engrais ou à la modification du pH du sol ou encore le développement de banques de fourrage".
Marge de progression
En Suisse, "l'efficacité de l'élevage est déjà élevée et la marge de progression relativement réduite", estime Edouard Davin. Pour le WWF, cette marge n'existe pas. La quantité de bétail doit être réduite, juge Damian Oettli, responsable marchés. "L'élevage n'est durable qu'en altitude où le pâturage assure l'alimentation des bêtes, mais sur le Plateau suisse, l'importation de fourrage mène à une production de viande qui n'est pas durable", plaide-t-il.
Faisant référence à l'étude d'ESU-services, Damian Oettli chiffre à 16 kilos par personne et par an une consommation durable de viande. "Cela représente trois saucisses par semaine, ou une grosse entrecôte", image-t-il.
La viande, quel avenir?
Les représentants de la filière viande n'excluent pas une diminution de la consommation en Suisse, mais tablent sur la valorisation de la qualité. "Nous disons toujours qu'il ne s'agit pas seulement de quantité. Le prix aussi participe aux revenus, et ce prix il faudrait un jour en parler", milite Regula Kennel.
"Les producteurs doivent être rémunérés pour leurs efforts et souvent la clientèle n'est pas prête à payer le prix", explique la responsable développement de Proviande. Interrogée sur la manière de soutenir les producteurs en ce sens, Regula Kennel salue l'orientation de la Politique agricole 2022+ proposée par le Conseil fédéral cette semaine. Elle rejette par contre l'idée d'une taxe CO2 sur la viande.
Pascal Jeannerat/kg
Le viande de boeuf pollue plus
La viande bovine est la plus coûteuse en émission de gaz à effet de serre. La production d’un kilo de viande de bœuf en Suisse induit l’émission d’environ 15 kg de CO2-eq. Suivent le porc (5 kg) et la volaille (3 kg). Les émissions de la production végétale par kilo est en moyenne dix fois inférieure, selon Edouard Davin.
Produits dérivés
L’alimentation humaine n’est la destination que d’une moitié du tonnage issu de l’élevage d’animaux. De 1% à 10% du poids des carcasses produites est incinéré, selon le GIEC. Les quelque 40% restants servent à la production d’aliments pour animaux ou de composants destinés à l’industrie alimentaire, énergétique, textile, cosmétique ou encore pharmaceutique. Enzymes, vitamines et hormones en font partie.