Cette année, le franc suisse pourrait encore se renforcer: c'est l'un des scénarios envisagés par UBS. Vis-à-vis du dollar, surtout, mais aussi de l'euro. Dans six mois, si on suit UBS, il ne faudra peut-être plus que 1 franc 05, pour acheter 1 euro.
En cause, l'effet refuge, encore et toujours. Auquel s'ajoute, désormais, une moindre marge de manœuvre du côté de la BNS. Pour affaiblir le franc, la Banque nationale a introduit un taux d'intérêt négatif. Et acheté des monnaies étrangères à tours de bras. Jusqu'à faire exploser son bilan, qui atteint 800 milliards de francs: "La Banque nationale ne peut pas vraiment se permettre d'être encore plus expansive, de baisser ses taux encore plus bas", explique Thomas Flury, stratège en devises chez UBS. "Et il y a un autre aspect, qui est lié au dollar. À mon avis, il est assez fort, il est possible que la Réserve fédérale baisse ses taux, et cette seule perspective va affaiblir le dollar".
Vraisemblablement, la BNS n'a pas épuisé toutes ses cartouches, selon Thomas Flury: "Tant qu'on est face à une hausse légère du franc, à mon avis, la BNS garde des munitions. À court terme, elle a des possibilités d'action. Mais à plus long terme, ce sera très, très difficile d'empêcher le franc de devenir encore plus fort".
"Situation un peu déséquilibrée"
Pour Jean-Pierre Danthine, ancien vice-président de la BNS (lire aussi encadré), interrogé mercredi dans La Matinale, "déjà depuis 2011, nous vivons dans une situation un peu déséquilibrée. Dans le meilleur des mondes, la Banque nationale voudrait bien avoir des taux d'intérêts plus élevés (…) et avoir un franc plus faible. Mais les conditions mondiales ne nous le permettent pas", estime-t-il.
Or, toujours selon Jean-Pierre Danthine, "la Banque nationale ne peut pas faire exactement ce qu'elle veut. Donc, elle essaie d'avoir les bonnes conditions monétaires pour l'économie et, là, malheureusement, dans ce mélange de conditions monétaires, des taux trop bas et un franc trop haut… mais c'est la seule possibilité qu'elle a aujourd'hui. Alors, bien sûr, ça arrange certains et ça dérange d'autres. Mais les conditions d'exportation sont un peu les mêmes que les conditions du commerce de détail : tout le monde aimerait un franc plus faible et je crois que beaucoup de monde aimerait des taux d'intérêt plus élevé. Ce n'est pas une option disponible aujourd'hui".
>> Ecouter l'invité de La Matinale, Jean-Pierre Danthine, ancien vice-président de la BNS et actuel codirecteur du Collège du management de la technologie de l'EPFL:
Souhait d'une stabilisation de l'économie mondiale
Pour que la pression se relâche sur le franc, en 2020, il faudra au moins avoir la confirmation que l'économie mondiale se stabilise.
Si les banques centrales restent accommodantes, que les tensions commerciales s'atténuent et que l'actualité géopolitique ne vient pas tout bousculer, ce sera un bon début.
Sujet radio: Guillaume Meyer
Interview radio: Valérie Hauert
Adaptation web: Stéphanie Jaquet
Coup de tonnerre en 2015
C'était il y a cinq ans, jour pour jour. Le 15 janvier 2015, la surprise est générale lors de l'annonce de la BNS d'abandonner son taux plancher. La bourse perd plus de 8,5% en une journée et les milieux économiques sont très fâchés.
Jean-Pierre Danthine, alors vice-président de la Banque nationale, se souvient: "On savait, quand on a introduit le taux plancher en 2011, que c'était provisoire et qu'en l'abandonnant il y avait deux scénarios possibles: un, c'est que tous les problèmes avaient disparu et que ça se ferait en douceur". Dans le deuxième scénario, note Jean-Pierre Danthine, il fallait surprendre et donc garder un secret total pour éviter que des personnes parient sur un abandon du taux plancher et gagnent des millions.
Trois jours avant l'annonce, Jean-Pierre Danthine avait assuré que le taux plancher était le pilier central de la politique monétaire de la BNS: "Trois jours avant, la décision n'était pas prise. Et je ne voulais pas suggérer que peut-être nous allions la prendre, car si je le suggérais, elle aurait déjà été prise par les marchés: nous aurions été bousculés, donc nous n'aurions plus eu le choix".
Et aujourd'hui?
L'ancien vice-président de la BNS estime au micro de La Matinale l'économie suisse "va plutôt bien" aujourd'hui: "Elle irait encore mieux, sans doute, avec un taux avec 1 franc 20 pour 1 euro. Mais la situation n'était probablement pas tenable. A mon avis, c'était notre perception, nous ne pouvions pas tenir pendant cinq ans – ou même probablement pas pendant un an supplémentaire. Ça n'était pas justifié et, donc, il fallait à un moment faire le pas".
"Nous avons fait le pas en toute connaissance de cause, même avec beaucoup d'incertitudes, parce que les prévisions que nous avions faites, si nous abandonnions le taux plancher, ont été parfaitement réalisées. Nous savions le coût que nous allions imposer et nous pensions qu'il était justifié étant donné les circonstances pour arriver à une politique monétaire beaucoup plus normale où le franc varie et où d'autres actions sont prises pour empêcher un resserrement des conditions monétaires excessif".