Comment travaillerons-nous en 2030?

Grand Format

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Introduction

Les révolutions technologiques s’enchaînent à un rythme effréné. Les nouveaux outils changent notre quotidien et redéfinissent notre rapport à l’entreprise. Le travail devient flexible, mobile et connecté. Pour anticiper les changements et se poser dès maintenant les bonnes questions, nous vous proposons de vous projeter dans une dizaine d'années et d'explorer le travail de demain.

Chapitre 1
Mon collègue robot

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Il est capable de travailler 10 heures par jour, de manière irréprochable. Il ne prend jamais de vacances et ne tombe jamais malade.

Ce collègue "parfait" est un robot humanoïde: il a une tête, deux bras et peut remplacer les employés pour réaliser des tâches complexes mais répétitives. Dans 10 ans, ils seront toujours plus nombreux dans les usines suisses. Mais certaines ont déjà "embauché" des robots.

"Aliena" est le petit nom que lui a donné l'entreprise Jean Gallay SA, une société genevoise spécialisée dans la fabrication de pièces pour l'aéronautique.

Aliena est arrivée il y a une année et demie, en provenance du Japon. Imaginez un robot monté sur un axe de 85 cm, surmonté d'une tête ovale, équipée de caméras et surtout de deux grands bras articulés.

Nicolas Lavarini (à g.) et Christophe Vesin (à d.) en compagnie du robot Nextage "Aliena" [C.F.]
Nicolas Lavarini (à g.) et Christophe Vesin (à d.) en compagnie du robot Nextage "Aliena" [C.F.]

D'apparence humaine, il ne parle pas mais est capable de finaliser des pièces de réacteurs pour des Airbus.

Christophe Vesin partage désormais son atelier avec Aliena. "Le matin, il se réinitialise. Il prend le pistolet de pointage. Met la douille, et rapidement il peut commencer à travailler seul. On regarde juste les deux premières minutes. Le mouvement est très répétitif, il est très précis."

Un collègue

Ce travail était auparavant effectué par un homme. "On continue toujours. C'est une assistance. Il nous libère du temps pour faire autre chose. Quand il est arrivé, au début, on s'est beaucoup interrogé. Est-ce qu'il va nous remplacer? Ce n'était pas évident à vivre."

Aujourd'hui, Christophe Vesin se dit rassuré. Il n'y a pas eu de licenciements, et il voit Aliena comme un collaborateur. "On est plus réactif sur les commandes. Il y a aussi moins de fatigue. Pour nous, c'est positif."

Aliena n'a pas eu d'incidences sur l'emploi. Il augmente la rentabilité. Comment cette entreprise voit le travail dans 10 ans? Pour l'instant, Jean Gallay SA compte 185 employés et n'a qu'un seul robot humanoïde.

Pour son directeur général, Nicolas Lavarini, leur présence va se renforcer et changer peu à peu le travail des collaborateurs. "Ça reste une machine qui tombe en panne. Il faut faire de la maintenance, la piloter, la programmer. Et pour ça, il faut des hommes. L'idée est de faire évoluer les opérateurs vers des postes plus techniques. Si on n'innove pas en Suisse, à terme, on ne va plus être présent sur le marché."

Un robot de ce type coûte entre 100'000 et 200'000 francs. Pour une société comme Jean Gallay SA, il est rentable après 3 à 5 ans.

Ce robot a intégré une trentaine d'industries, essentiellement romandes. Mais son expansion est en marche: la société neuchâteloise Rollomatic, qui le commercialise, cherche à s'imposer en Suisse alémanique.

Le robot humanoïde de l'entreprise Jean Gallay SA. [RTS - Céline Fontannaz]RTS - Céline Fontannaz
La Matinale - Publié le 6 février 2020

Chapitre 2
Toujours plus surveillés

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Désormais, les entreprises peuvent tout savoir, ou presque, de leurs collaborateurs. Chaque clic que vous faites. Chaque badge que vous présentez. Le wifi que vous utilisez. Tous ces gestes du quotidien laissent désormais des traces numériques. Nous sommes passé d'une surveillance de masse (vidéosurveillance) à une masse de surveillance (objets connectés).

Des données qui peuvent être analysée par l’employeur. "On doit éviter de surveiller l'employé lui-même. L'employeur peut contrôler l'accès à un bâtiment, mais il devrait limiter l'analyse du comportement d'un seul individu. Certains buts sont légitimes, comme pour de la facturation, de la sécurité ou de l'organisation du travail", tempère l'avocat spécialiste des données, Sylvain Métille. La collecte doit se faire de manière transparente et il doit y avoir un intérêt légitime à l'utilisation de ces données.

>> La surveillance au travail. L'avocat Sylvain Métille était l'invité de la Matinale :

Comment travaillerons-nous en 2030? (1-5) (vidéo) - Sylvain Métille s’exprime sur la surveillance des employés
La Matinale - Publié le 3 février 2020

Mais des entreprises sont allées encore plus loin aux Etats-Unis. En mettant des capteurs physiologiques directement sur certains de leurs employés. Il s'agit de petits boîtiers qui s'attachent au bras et prennent notamment le rythme cardiaque. Ces données permettent de connaître en temps réel l'état de stress d'un travailleur.

Le capteur utilisé pour l'expérience menée dans une administration suisse [PW]
Le capteur utilisé pour l'expérience menée dans une administration suisse [PW]

La société zurichoise biovotion a développé ces capteurs, d'une précision clinique, en forme de grosse montre. Sur son site, elle parle de gestion des actifs humains et annonce être présente dans des industries à risque, comme l’armée, la santé, l’aviation, le transport ou les mines.

"Au début, ces capteurs étaient utilisés pour surveiller à distance des patients après un accident, par exemple", explique Tobias Mettler, professeur à l'Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP) à Lausanne. "Aux Etats-Unis, l'employeur paie l'assurance maladie. Il a un intérêt financier à contrôler le bien-être et la santé des employés. Mais les capteurs sont surtout utilisés sur les personnes clés d'une entreprise, ceux qui gèrent des budgets conséquents. Un burn-out peut mettre en danger certains investissements."

Testé en Suisse

Tobias Mettler a étudié cette technologie, connue sous le nom de "physiolytics". Il a posé des capteurs sur une vingtaine de fonctionnaires d'une ville suisse de 10'000 habitants, dont le nom reste secret. "Des personnes ont peur de cette nouvelle transparence, du contrôle de l'employeur. A l'inverse, certaines personnes étaient enthousiasmées. Elles pouvaient prouver leur surcharge de travail et leur stress."

La technologie doit permettre aux managers de repérer les services où le stress est élevé. A eux d'agir ensuite en recrutant du personnel ou en changeant l'organisation. Dans le cas d'étude, les données étaient agrégées et anonymisées.

Exemple de données récoltées avec un biocapteur. A gauche, une journée normale de travail. A droite, une personne au bord du burn-out.
Exemple de données récoltées avec un biocapteur. A gauche, une journée normale de travail. A droite, une personne au bord du burn-out.

“On peut avoir peur", estime l'avocat Sylvain Métille. "On voit assez vite la surveillance permanente, la manipulation, le contrôle qui se cache. Rien qu’une impression de surveillance peut avoir un effet sur le travailleur. D’un autre côté, on peut avoir confiance en mettant par exemple un médecin tiers qui reçoit les données et qui lui seul peut avertir la personne concernée, sans en parler à l’employeur. A ce moment-là, on pourrait imaginer d’entrer dans l’idée.”

La psychologue Catherine Vasey s'est spécialisée dans le burn-out. Elle reste prudente avec cette technologie invasive. "La santé doit rester personnelle, individuelle. Il y a un risque d’une sélection par le stress. Mais c’est important que l’entreprise réalise qu’il y a des dégâts dus au stress. Ce n’est pas simplement dans la tête, il y a une dimension physique."

>> Catherine Vasey était l'invitée d'Yves Zahno dans le 12h30 :

Catherine Vasey publie "La boîte à outils de votre santé au travail". [noburnout.ch]noburnout.ch
L'invité du 12h30 - Publié le 4 février 2020

Aux Etats-Unis, les entreprises ont un moyen de pression supplémentaire pour faire accepter ces capteurs, selon Tobias Mettler. Ce sont elles qui paient l'assurance maladie. Vous refusez le capteur? Il se peut qu'à terme vous ne soyez pas couvert par l'assurance de la société ou que vous deviez payer une surtaxe.

Aujourd'hui, on estime qu'il y aurait déjà plus de 27 millions de capteurs d'activité portés par des employés dans les bureaux. Principalement des Apple Watch et des fitbits. Pour l'instant, ces données ne sont pas accessibles aux entreprises.

Chapitre 3
Le télétravail fait sa mue

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Le travail à distance se développe rapidement. Pour preuve, 138'000Suisses ont passé en 2018 plus de la moitié de leur temps à travailler depuis leur domicile. Soit quatre fois plus qu'en 2001. Plus d'un million de travailleurs ont pratiqué le télétravail cette même année.

La connectivité permanente permet désormais de s’affranchir d’un lieu précis. Il est révolu le temps du modem qui cloisonne internet à une pièce. On travaille dans le train, dans un café ou à la maison.

Et de nouvelles technologies arrivent sur le marché pour changer la donne, notamment les holomeetings. Des réunions d’hologrammes, ces photos en relief.

"On pense que cette technologie d'hologramme et de réalité virtuelle immersive et collaborative sera prête dans deux ou trois ans. Même si ce n'est pas le cas, une fois que cette technologie sera installée elle bouleversera nos relations de travail", estime Isabelle Chappuis, directrice exécutive du Future Skills lab à l'Université de Lausanne.

"Souvenez-vous de l’arrivée de la messagerie WhatsApp. Des groupes de conversations sont apparus dans les entreprises, des liens familiaux se sont renforcés. La technologie peut changer les rapports sociaux si elle est adoptée."

Cette technologie n’est pas sans risque. Le personnel se retrouve dans des lieux virtuels. Encore faudra-t-il contrôler et sécuriser ces lieux et prouver l’identité des participants.

La collaboration devient possible sans limite de distance. "Les entreprises peuvent recruter des talents qui sont plus éloignés. Et les employés profitent d’une indépendance spatiale, d’une vie de famille et de pouvoir travailler quand ils sont le plus apte à le faire."

Il n’y a pas que des avantages. "Les humains sont des animaux sociaux. On est plus performants en groupe dans un univers physique, que dans un monde virtuel. Il peut y avoir une diminution de performance. La culture d’entreprise tend également à disparaître, car elle se nourrit de contacts informels."

Chapitre 4
Quand l'entreprise de demain n'a plus de personnel...

Stanford

L'entreprise sans personnel est-elle possible? L'idée n'est pas si fantaisiste. Elle a été développée par l'Université de Stanford. Elle consiste à faire appel aux meilleurs experts disponibles, où qu'ils soient, le temps d'un projet.

C'est ce que les experts appellent l'organisation "flash". Concrètement, il s'agit de recruter une équipe en fonction des projets que l'entreprise veut développer. L'équipe est dissoute une fois la mission accomplie.

Rien de neuf? L'industrie cinématographique utilise ce procédé depuis plus de 10 ans. Ce qui change aujourd'hui, c'est la rapidité de constitution d'une équipe de projet.

Le concept se veut ambitieux car, selon les spécialistes, il permettrait de recruter via une plate-forme internet les experts les plus pointus du domaine en 15 minutes.

Capture d'écran de l'organisation flash du premier projet de Stanford
Capture d'écran de l'organisation flash du premier projet de Stanford

Si l'intérêt pour les entreprises semble évident, cette méthode est aussi susceptible de plaire aux travailleurs, notamment à la nouvelle génération, selon Robin Gordon, directeur de la société de recrutement Interiman.

"Les profils qui sont à l'aise avec ce modèle sont plutôt des jeunes ultra-bien formés dans les dernières technologies. Et qui interviennent ponctuellement, car ils savent qu'une fois que le projet est en place, on aura plus vraiment besoin d'eux pour de l'opérationnel."

Flexibilité

Une nouvelle génération plus orientée vers l'expérience et moins opérationnelle. Un système tellement efficace qu'il pourrait inciter les entreprises à ne plus recourir à des employés fixes? "Une entreprise a quand même besoin de conserver son noyau dur. Tous les employés ne travailleront pas sur ce modèle."

Plusieurs entités et entreprises ont déjà lancé des projets grâce à des organisations "flashs". L'université de Stanford précisément, mais aussi Google ou encore Microsoft.

Des sites comme Maltou Cometse sont positionnés sur ce marché très apprécié des informaticiens, qui travaillent ainsi sur des projets dans le monde entier, sans sortir de chez eux.

Au-delà de l'outil, ce type de management demande à l'entreprise de connaître ses forces et son savoir-faire en interne, mais également de définir précisément les compétences nécessaires à l'élaboration d'un projet particulier.

Robin Gordon parle des inégalités subies par les mères sur le marché du travail (vidéo)
La Matinale - Publié le 4 février 2020

Chapitre 5
Le bonheur au travail

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Comment travaillerons-nous dans 10 ans? Mais surtout serons-nous heureux? C'est la question du bonheur au travail qui occupe la philosophe Julia de Funès, petite-fille de l'acteur français Louis de Funès. Elle affirme que le sens du travail change. Que le travail n'est plus une finalité. Faire carrière dans une même entreprise ne justifie plus sa vie professionnelle.

"Le travail est devenu un moyen au service d'autre chose. Les jeunes générations veulent travailler pour pouvoir faire autre chose ailleurs et s'éclater."

L'intelligence artificielle, la numérisation du travail ou la robotisation des tâches imposent une nouvelle pression sur le travailleur. Est-ce un frein au bien-être? "Ces nouvelles technologies vont nous acculer à devenir véritablement des humains. C'est-à-dire renoncer au conformisme, à la réflexion mécanique et uniformisée. Déjà maintenant, la machine fait mieux que nous. Si l'employé travaille uniquement de façon mécanique, il sera remplacé."

Pour trouver sa place, le travailleur doit miser sur ce qu'il a de spécifique. La prise de risque, l'intuition, la confiance, les relations interpersonnelles, le sens que l'on donne à l'action sont autant de caractéristiques humaines à mettre en valeur.

Le bonheur ne se résume pas à un baby-foot

"Les nouvelles technologies doivent être des moyens à notre service. Il faut, par exemple, que la présence d'un robot sur le lieu de travail stimule les employés. S'ils ne se remettent pas en question, il est probable qu'ils soient remplacés."

Le bonheur au travail est-il possible? Est-ce une "arnaque" afin de nous vendre de l'espoir? Pour Julia de Funès, les grandes entreprises réduisent parfois le bonheur à des gadgets, comme des consoles de jeu, des bonbons, des baby-foot ou des rooftops végétalisés. Bref, un cadre de travail sympa ne suffit pas au bonheur.

"Jamais les entreprises n'ont fait autant pour le bien-être des employés, et pourtant jamais il n'y a eu autant de mal-être en entreprise. On vise mal, il y a une erreur d'aiguillage sur le bonheur. Il y a des choses essentielles: la reconnaissance, la rémunération, le sens de ce que l'on fait, les rapports entre collaborateurs. C'est sur ces leviers qu'il faut agir."

Les modes de travail changent. La flexibilité des horaires, le télétravail et l'autonomie se développent. Autant de pas dans la bonne direction, selon la philosophe. La recherche de sens est également centrale.

L'argent fait le bonheur

"Les entreprises qui arrivent à recruter les jeunes talents sont celles qui contribuent à un projet humanitaire, social, sociétal, environnemental. Elles contribuent à quelque chose qui va au-delà d'elles-mêmes. La finalité de l'entreprise se transforme."

Comment être plus heureux au travail? "Il faut plus d'autonomie, plus de liberté, moins de procédures qui engourdissent les intelligences, plus de sens, plus de reconnaissance". Être rémunéré pour vivre sa passion est une source de bonheur. "C'est le Graal, mais il y a peu d'élus."

Il s'agit également de briser un tabou: l'argent. "On devrait parler du salaire dès le premier entretien et pas en fin de recrutement. On vient pour gagner de l'argent. Parfois, le candidat passe 10 heures d'entretien sans savoir quelle va être sa rémunération. C'est pourtant une condition primordiale pour être motivé."

>> Regarder l'interview de Julia de Funès dans la Matinale :

L'invitée de la Matinale (vidéo) - Julia de Funès, docteure en philosophie
La Matinale - Publié le 5 février 2020

Chapitre 6
Quelle formation pour les employés de demain?

Le débat de Forum sur l'école en 2030.

Avec Cesla Amarelle, conseillère d'Etat en charge de l'instruction publique dans le canton de Vaud, Grégoire Evéquoz, ancien directeur de l'Office pour l'orientation, la formation professionnelle et continue de Genève, Frédéric Dumonal, directeur de la Formation continue au sein de l'école CREA à Genève, et Manon Klopfenstein, écolière et membre de la commission de jeunes du canton de Vaud.

Le débat - Quelle école pour travailler en 2030?
Forum - Publié le 7 février 2020