Le patron de Denner et Herbert Bolliger, son homologue de la
Migros, ont annoncé leur rapprochement vendredi après-midi devant
la presse à Zurich, peu après la signature du contrat de vente. Le
prix de la transaction, qui doit encore recevoir l'aval de la
Commission de la concurrence (Comco), n'a pas été dévoilé.
La holding familiale Gaydoul garde 30% des parts du capital de
Denner que Philippe Gaydoul dirigera encore durant au moins trois
ans. Le troisième distributeur helvétique reste autonome et
indépendant et les 3500 emplois sont garantis. Denner reste Denner,
a martelé M. Gaydoul.
Craintes pour l'avenir
Le discounter a terminé l'année 2006 sur un chiffre d'affaires
en hausse de 21,2%, à 2,6 milliards de francs. Mais le marché est
soumis à une forte concurrence depuis l'arrivée en force des hard
discounters étrangers et la croissance va ralentir en 2007.
Après les groupes français Carrefour et Casino, Aldi est en plein
essor en Suisse et Lidl devrait suivre sur la même voie, a expliqué
M. Gaydoul. D'ici 2010, les deux groupes allemands devraient
implanter une centaine de succursales chacun pour un chiffre
d'affaires cumulé de 3,4 milliards de francs, selon les
prévisions.
Dans ce contexte, Denner ne pouvait pas espérer subsister en
faisant cavalier seul. L'alliance avec Migros garantit son avenir à
long terme, selon M. Gaydoul qui a refusé de dire si d'autres
acheteurs ont été contactés. La famille a pris cette décision à
l'unanimité. La ligne de conduite du fondateur de Denner Karl
Schweri n'a pas été enfreinte. A l'époque de son grand-père, la
situation était différente, a estimé M. Gaydoul.
Une bonne solution pour Migros aussi
La Migros craint elle aussi l'internationalisation du marché et
la croissance à deux chiffres du discount en Suisse. Pratiquement
toutes les grandes chaînes de distribution européennes exploitent
des canaux de vente à bas prix, a expliqué M. Bolliger. Le géant
orange ne pouvait pas manquer le coche.
L'élargissement de la gamme M-Budget ne suffisant plus, la reprise
d'un discounter de la place était la meilleure solution. Ensemble,
les deux entreprises profiteront de conditions plus favorables au
niveau des approvisionnements et pourront faire baisser leurs
prix.
Leurs assortiments seront complémentaires: Denner réalise 75% de
son chiffre d'affaires avec les articles de marque et Migros 90%
avec ses propres marques. Ensemble, ils détiendront 18,9 des parts
de marché du commerce du détail.
Les deux distributeurs se complètent aussi en termes de taille et
de clientèle. Près de 20% des succursales du distributeur se
trouvent en outre sur des surfaces appartenant au géant orange.
Migros compte 585 succursales et emploie 80'000 personnes. Denner
dispose de 435 magasins et de 293 satellites.
ats/ant
CONCENTRATION ET GUERRE DES PRIX
Le marché suisse de la distribution connaît ainsi une nouvelle
étape de concentration. La guerre des prix en vigueur depuis
quelques années devrait toutefois continuer d'en contrebalancer les
effets.
La transaction annoncée vendredi n'est pas surprenante. «Des
entreprises comme Denner n'ont plus les reins assez solides» dans
la perspective d'un marché très concurrentiel, selon le professeur
d'économie Philippe Gugler, ancien vice-directeur de la Commission
de la concurrence (Comco) et actuel doyen de la faculté des
sciences économiques et sociales à l'Université de Fribourg.
Concentration et guerre des prix
Deux forces s'exercent sur le marché suisse du commerce détail,
explique M. Gugler: d'une part «une concentration inquiétante» ces
dix dernières années, d'autre part «un vent nouveau» avec l'arrivée
de grands distributeurs étrangers.
La dernière décennie a vu se dérouler de grandes manoeuvres.
Globus-ABM a repris une grande partie des enseignes Jelmoli en
1995, avant d'être lui-même avalé par Migros en 1997. Coop a pour
sa part racheté Waro en 2002 et EPA en 2004. De son côté, Denner a
repris les magasins Pick Pay à l'automne 2005.
La tendance a toutefois été contrebalancée par l'arrivée de
groupes étrangers qui ont stimulé la concurrence. Si la présence
des français Carrefour (qui a acquis en 2000 les enseignes Jumbo)
et Casino n'a guère changé la donne, l'offensive des hard
discounters allemands Aldi et Lidl a eu en revanche des effets plus
spectaculaires.
La concurrence en question
Le rachat de Denner «sera une bonne occasion pour la Comco de
faire le point sur la situation concurrentielle en Suisse», estime
Philippe Gugler. Car seule l'ouverture d'une enquête approfondie
permet de contraindre les entreprises à fournir des informations
détaillées pour déterminer leurs parts de marchés.
Une telle enquête prendrait environ cinq mois. «Je ne serais pas
surpris que la Comco donne son aval», note toutefois Philippe
Gugler. Si l'opération devait poser problème, ce serait avant tout
dans le domaine alimentaire.
Le noeud de l'enquête ne concernerait pas forcément la position du
géant orange dans la vente au détail, mais plutôt sa situation en
amont, au niveau de l'approvisionnement. Il s'agira de vérifier que
face aux fournisseurs, «la puissance d'achat de Migros ne soit pas
trop accrue dans certains segments particuliers».
ats/cab
Des réactions mitigées
Les syndicats se sont montrés plutôt satisfaits de ce rachat. Ils sont soulagés que le groupe n'ait pas été vendu à un discounter étranger.
La Société suisse des employés de commerce (SEC Suisse) espère que les employés du discounter, sans CCT, bénéficieront désormais de la convention collective de travail (CCT) du géant orange.
Unia et Syna se disent toutefois soucieux pour l'emploi, craignant que des synergies ne menacent les places de travail.
La Fédération romande des consommateurs (FRC) redoute la position de Migros sur le marché et «la nature duopolistique de la distribution en Suisse». A l'inverse des syndicats, la FRC aurait préféré une reprise par un groupe étranger.
Denner en quelques chiffres
Denner avait passé pour la première fois en 2005 le cap des deux milliards de chiffre d'affaires (2,04 milliards en hausse de 11,1%).
En comparaison, Migros, avait dégagé en 2005 un chiffre d'affaires record de 17,4 milliards de francs, en hausse de 0,6% et son dauphin Coop avait vu ses ventes progresser de 0,6% à 14,1 milliards.
Philippe Gaydoul a repris les rênes de Denner en 2000, des mains de son grand-père Karl Schweri, fondateur du groupe.
L'entreprise familiale, qui ne publie pas ses bénéfices, compte actuellement 470 lieux de vente et emploie 3500 personnes. La Migros dispose de 585 succursales et emploie 80'000 personnes.