Quand on parle inégalité de richesse entre hommes et femmes, on pense d’abord aux écarts de salaires - de l'ordre de 20% en Suisse - entre les deux sexes. Mais les inégalités de richesse en fonction du genre ne se limitent pas au marché du travail et à la question des salaires, elles sont aussi présentes dans les familles.
C'est ce que démontrent les sociologues Céline Bessière, de l'Université Paris Dauphine, et Sybille Gollac, du CNRS, dans leur essai "Le genre du capital: comment la famille reproduit les inégalités" (La Découverte), qu'elles ont présenté dans La Matinale de la RTS samedi.
Cette enquête au long cours, sur 20 ans, analyse les mécanismes qui conduisent à une "compatibilité sexiste" du patrimoine familial, visibles surtout lors de deux moments clés de la vie familiale: les séparations et les héritages.
Les bien structurants, aux garçons
Pour l’héritage, mieux vaut être un fils qu’une fille. Les chercheuses démontrent en effet que des "arrangements économiques sexistes" privilégient les garçons, et ce malgré un droit de succession égalitaire.
"Ce qu'on constate au sein des familles, c'est que les garçons apparaissent souvent comme de meilleurs héritiers que leurs soeurs", explique Céline Bessière. "Au sein du patrimoine, il existe des biens structurants - comme des entreprises familiales, des maisons de famille - qu'il est important de conserver. Or, dans les familles, on va souvent considérer que les hommes sont plus aptes à gérer ces biens. Aussi parce qu'ils sont plus solides financièrement, car ils obtiennent une rétribution financière plus importante dans la cadre de leur travail", détaille la chercheuse.
Ce qui devrait être fait en théorie, c'est d'établir la liste des biens qui composent le patrimoine familial, les évaluer et avoir une valeur globale qui sera ensuite divisée en parts égales. "Ce qui se passe en réalité, c'est qu'on sait à l'avance à qui doivent aller les biens structurants - au fils, et souvent l'aîné. On construit ensuite une évaluation et une répartition des autres biens, pour construire une espèce d'égalité formelle, mais souvent au prix d'une sous-évaluation des biens structurants", notent les chercheuses.
"Ce qui fait que les compensations que reçoivent notamment les soeurs vont souvent être d'une valeur inférieure aux biens structurants que reçoivent leurs frères."
"Quitter le domicile conjugal, c'est comme perdre sa tour aux échecs"
La séparation, ou le divorce, est un autre moment révélateur de ces inégalités de genre, affirme l'étude. Partout dans le monde, les femmes ont une baisse immédiate de niveau de vie, suite à une séparation conjugale. En France, c'est à peu près -20% pour les femmes, alors que le niveau de vie des hommes se maintient à l'identique, précisent les chercheuses. "Mais ce que nous avons vu aussi, c'est ce qui se joue au niveau du patrimoine: les femmes ont beaucoup de mal à conserver le domicile conjugal quand les couples sont propriétaires, alors même qu'elles ont plus souvent la charge des enfants après la séparation."
Selon des avocates interrogées dans l'étude, "quitter le domicile conjugal, c'est comme perdre sa tour aux échecs": la personne qui part doit se reloger, payer un loyer et attendre que celui qui reste puisse rembourser sa part, ce qui fait de ce dernier le maître du tempo. "Et le temps produit de l'inégalité."
Ces inégalités concernent toutes les classes sociales, relèvent encore les chercheuses. A une différence près: "dans les classes populaires, les histoires d'argent sont des affaires de femmes, parce qu'en réalité ce sont essentiellement des problèmes. Mais plus on grimpe dans la hiérarchie sociale - et plus le niveau de richesse est élevé - plus le pouvoir économique reste entre les mains des hommes."
Propos recueillis par Yann Amedro
Adaptation web: Katharina Kubicek