"J'ai peur d'aller au travail en transports publics. De chez moi jusqu'au travail, il y a un bout. Je prends les mesures de sécurité, mais ça m'inquiète quand même un peu. Et si moi j'amène la maladie aux petites, ça serait triste", raconte Angela Cerqueira.
Malgré ses peurs, cette nounou employée dans une famille depuis deux ans s'estime privilégiée: "Il y a des cas encore pires dans mon entourage. Des copines ont perdu leur travail, elles sont à la maison et n'auront pas de salaire", compatit la jeune femme.
Une situation que vivent de nombreux travailleurs domestiques, justement. En Suisse, quelque 61'000 personnes gagnent leur vie grâce au travail effectué dans les ménages, soit 1,2% de la population active. Un nombre vraisemblablement sous-évalué selon l'Office fédéral de la statistique (OFS).
Depuis l'annonce des restrictions liées au coronavirus, nombre d'entre eux ont été priés de rester chez eux, le temps que le virus passe. Soit par crainte d'une contamination, soit parce que leurs services ne sont plus utiles en ces temps de confinement.
L'employeur obligé de payer
A Genève, au Syndicat interprofessionnel des travailleurs (SIT), la permanence téléphonique ne s'arrête plus: "Les employeurs dans l'économie domestique n'ont pas conscience que ce sont des employeurs. Donc ils mettent fin au contrat de travail du jour au lendemain, sans s'imaginer qu'il y a des délais de congé ou des salaires minimaux à respecter. Il y a tout un flou lié à l'économie domestique, qui était déjà présent avant le Covid-19", explique Mirella Falco, secrétaire syndicale en charge de l'économie domestique au SIT.
Il est difficile d'estimer combien se retrouvent sans revenu. "On ne sait pas si les employeurs vont respecter leurs obligations. Mais s'ils ne le font pas, ça va être long pour récupérer les salaires", souffle Mirella Falco.
En effet, l'employeur qui demande à sa nounou de ne plus venir travailler reste dans l'obligation de la payer. Ces emplois ne figurent pas dans la liste de l'ordonnance de lutte contre le Covid-19. Ils ne peuvent donc prétendre au chômage partiel.
Vague de licenciements redoutée
Les services cantonaux de Chèques-emploi, qui assurent un service de déclaration des employés domestiques, confirment l'inquiétude pour ces travailleurs. "Depuis le 13 mars, nous recevons des centaines de mails ou d'appels chaque jour", affirme Clotilde Fischer, responsable de Chèques-emploi Vaud. Cette section regroupe environ 9000 employeurs et 6000 employés.
Les réponses à apporter tant aux employeurs qu'aux employés sont parfois difficiles à trouver. Qu'en est-il si l'employeur est âgé ou à risque? Quels droit pour l'employé à risque?
Dans tous ces cas, l'obligation de verser le salaire demeure. Au risque de créer des mécontentements. "Ma plus grosse crainte est que la crise se prolonge et qu'elle débouche sur une vague de licenciements. Car nous commençons à recevoir de plus en plus de questions sur les délais de congé", soupire Clotilde Fischer.
Mercredi dernier, le conseiller fédéral Guy Parmelin a affirmé que la question de l'indemnisation des travailleurs domestiques était à l'étude. Une réponse devrait être apportée d'ici au 8 avril. "Nous attendons beaucoup des déclarations qui seront faites et surtout des mesures qui seront prises", confie-t-elle.
Augmentation des travailleurs domestiques à l'aide sociale
En attendant, les employés sur le carreau serrent les dents. A l'image de cette employée de maison, qui a voulu garder l'anonymat, de peur de perdre son travail. Employée depuis 10 ans dans la même famille, ses patrons préfèrent qu'elle reste chez elle. Elle n'a pas été payée en mars et craint le pire: "J'ai trois enfants à entretenir dans mon pays. C'est très difficile".
Que le travail soit déclaré ou non, il est très difficile de faire respecter ses droits dans l'économie domestique. Ceux qui ne reçoivent plus leur salaire n'osent pas toujours se plaindre. Surtout lorsqu'ils n'ont pas de papiers.
Myriam Schwab, travailleuse sociale à la Fraternité du CSP Vaud, confirme que de plus en plus d'employés domestiques viennent chercher une aide financière depuis le début de la crise.
Selon elle, la situation devient particulièrement problématique pour les personnes qui ne bénéficient que d'un permis B, soit un permis de travail qui se renouvelle en principe chaque année. Car ce dernier peut ne pas être renouvelé si son détenteur est inscrit à l'aide sociale.
Face à cette situation, le CSP entend demander un moratoire sur cette règle durant la crise, ainsi que la régularisation des sans-papiers.
"Sans revenu, sans aide financière, leur situation peut devenir dramatique", s'inquiète Myriam Schwab.
Pas de masque, ni de gants
Les employés domestiques qui ont pu garder leur emploi en ces temps difficiles travaillent parfois dans l'angoisse, sans mesures de protection sanitaire sur leur lieu de travail. Sans compter les transports en commun pour se rendre sur leurs différents lieux de travail.
Dans le cas d'une nounou, ou d'un auxiliaire de vie, il est quasiment impossible de respecter la mesure de distanciation sociale préconisée par l'OFSP. Dans une lettre adressée au Conseil d'Etat genevois, le syndicat SIT exige soit l'arrêt de l'activité, soit la mise à disposition de matériel de protection identique à celui du personnel du secteur public des soins à domicile (IMAD).
"Aucune mesure visant à leur protection, que ce soit sur le plan sanitaire, social ou économique, n'a été envisagée par la Confédération, comme s'il s'agissait d'une population de seconde zone indigne de protection, imperméable au virus qui plus est. Pire, elles échappent à tout contrôle des mesures sanitaires, ce qui pose un réel problème de santé publique", déplore le SIT dans une lettre adressée au Conseil d'Etat genevois.
Le syndicat demande des mesures et des fonds pour une économie domestique déjà précaire avant la crise, afin de faire face à une réalité qui s'annonce encore plus dure.
Feriel Mestiri et Delphine Misteli