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La débâcle Swissair enfin au tribunal

L'époque où les avions de Swissair décollaient de Kloten/Zurich
Le grounding de Swissair avait provoqué en 2001 un traumatisme national
Le 1er procès pénal sur la déconfiture de Swissair s'ouvre mardi à Bülach. Dix-neuf ex-responsables de la compagnie comparaissent devant les juges pour la plus grande affaire de l'histoire de l'économie suisse.

Cinq ans après l'immobilisation de la flotte de Swissair, la
débâcle de l'ancienne compagnie aérienne continue à faire la une.
Les coulisses du procès en attestent: trente journées d'audience
sont agendées du 16 janvier au 9 mars. Elles se dérouleront dans la
halle communale de Bülach, qui peut contenir jusqu'à 1500
personnes, plutôt que dans la salle du Tribunal de district.

Bénédict Hentsch en premier

Les deux premiers accusés à se présenter mardi devant les juges
seront le banquier privé genevois Bénédict Hentsch et le président
du conseil d'adminstration de Panalpina Gerhard Fischer. Tous deux
membres du conseil d'administration de feu Swissair, ils sont
accusés de diminution effective de l'actif au préjudice des
créanciers et de gestion déloyale.



La chute de Swissair a choqué la Suisse à l'automne 2001. L'image
des avions de la compagnie cloués au sol pour incapacité de
paiement le 2 octobre reste présente dans les mémoires.



Le prix à payer est aussi indélébile: pour sauver des milliers
d'emplois et permettre l'exploitation d'une compagnie aérienne
suisse, l'Etat et l'économie ont dû injecter 4,5 milliards de
francs.

Quatre ans et demi

L'enquête du Ministère public zurichois a démarré avant le
«grounding» de 2001. Il lui aura fallu quatre ans et demi de
travaux jusqu'au dépôt de la première plainte au printemps 2006. Le
Ministère public a interrogé 130 personnes, effectué 20
perquisitions et collecté des documents réunis dans 4150 classeurs
fédéraux, soit une longueur de 270 mètres.



Le procès de Bülach vise le gratin de l'économie helvétique des
années 1990. Parmi les 19 personnes qui seront entendues se
trouvent les ex-patrons de Swissair, Mario Corti et Philippe
Bruggisser, ainsi que le conseil d'administration in corpore. En
faisaient partie l'ex-patron du Credit Suisse Lukas Mühlemann,
l'industriel Thomas Schmidheiny, l'ancienne conseillère aux Etats
Vreni Spoerry (PRD/ZH) ou le banquier genevois Bénédict
Hentsch.



Les anciens chefs des finances de SAirGroup, Georges Schorderet et
Jacqualyn Fouse, sont aussi sur la sellette ainsi que d'autres
membres de la direction, des conseillers externes et l'ex-patron de
la compagnie aérienne polonaise LOT, Jan Litwinski.

Assainissement de SAirLines

Long de 100 pages, l'acte d'accusation porte sur des délits de
gestion déloyale, gestion fautive, faux dans les titres et faux
renseignements sur des sociétés commerciales. Il se penche
notamment sur la restructuration du groupe entreprise au printemps
2001 avec l'assainissement du bilan de SAirLines.



Cette entité réunissant les compagnies aériennes du groupe
présentait alors un surendettement de 2,3 milliards de francs,
selon l'acte d'accusation. Les pertes de SAirLines ont alors été
éliminées, le groupe ayant repris les participations de cette
entité, sans contrepartie.



Par ailleurs SAirGroup a renoncé à un prêt de 727 millions de
francs à SAirLines. Ces transactions ont causé un dommage évalué
entre 2,58 et 9,13 milliards. Pour les créanciers de SAirGroup, le
Ministère public l'estime à 1,1 milliard.



Le parquet reproche également aux prévenus des versements de
plusieurs millions de francs, notamment au transporteur belge
Sabena. MM. Corti et Schorderet se voient quant à eux reprocher
d'avoir livré à plusieurs reprises au public des informations
erronées sur la situation financière du groupe.

Deuxième procès en vue

Malgré sa dimension, le procès ne se penchera que sur une partie
de la débâcle. Le Ministère public prépare une deuxième procédure,
qui traitera des comptes de la compagnie aérienne en faillite.
L'acte d'accusation devrait être publié en cours d'année. La
justice a déjà programmé le premier procès pour éviter la
prescription de plusieurs délits après sept ans.



ats/tac

LES ENTREPRISES RESCAPEES DE SWISSAIR

Toutes les filiales du défunt SAirGroup n'ont pas coulé à la
faillite du groupe. Crossair fait partie des rescapées, en volant
désormais sous le nom de Swiss. Les autres sociétés ont été
vendues.

Swiss passe à Lufthansa

Si SAirGroup et ses filiales Flightlease (location d'avions),
SAirLines et Swissair ont été mises en faillite, Crossair a survécu
grâce aux milliards injectés par la Confédération et l'économie.
Devenue Swiss, elle a été rachetée par Lufthansa en 2005.



Les entreprises de maintenance SR Technics et d'assistance au sol
Swissport ont été acquises par des sociétés de participations.
Elles ont ensuite été revendues.



SR Technics appartient depuis novembre à un consortium formé par
Mubadala Development, Dubai Aerospace Enterprise (DAE) et Istihama.
Les fonds d'investissement 3i und Star Capital l'ont cédée pour 1,6
milliard de francs. Swissport est passée en octobre 2005 de
Candover à l'espagnol Ferrovial pour 1 milliard de francs.

Cargologic, Gate Gourmet et Swissôtel

En décembre 2001, la société texane EDS a acheté la filiale
informatique Atraxis. En 2002, Cargologic (fret aérien) a été cédée
à l'allemand Rhenus, Crossair reprenant les activités de
Swisscargo. En août 2001 déjà, SAirGroup a vendu sa filiale
rentable Nuance aux groupes italiens PAN et Stefanel.



Gate Gourmet a été acheté par la société d'investissement Texas
Pacific pour 1,09 milliard. Restorama est revenu au groupe
britannique Compass. Raffles, à Singapour, a racheté la chaîne
d'hôtels Swissôtel pour 410 millions de francs.

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L'affaire Swissair: chronologie

2 octobre 01 - Les avions de Swissair sont cloués au sol pendant 2 jours faute de liquidités. La compagnie s'est effondrée, notamment en raison d'une stratégie d'expansion ruineuse (17 milliards de francs de dettes). L'activité aérienne reprend grâce à un crédit de sauvetage de 450 millions.

17 novembre 01 - Le Parlement fédéral accorde un crédit de 2,1 milliards de francs pour la poursuite des vols jusqu'en mars 2002 et la création d'une «nouvelle Crossair».

31 mars 02 - Swissair cesse ses activités. Elle laisse la place à la nouvelle compagnie Swiss.

18 juin 02 - La justice zurichoise annonce que trois anciens cadres du groupe Swissair font l'objet d'une enquête pénale. Celle ci a débuté durant l'été 2001.

24 janvier 03 - Un rapport du cabinet d'audit Ernst & Young dresse la liste des erreurs et négligences qui ont conduit au naufrage de Swissair. Il critique notamment le dérapage de la «stratégie du chasseur».

22 mars 05 - Après de fortes réductions de sa flotte, Swiss, déficitaire, est rachetée par la compagnie allemande Lufthansa.

1er avril 05 - Le liquidateur Karl Wüthrich dépose une première plainte civile contre les anciens responsables du groupe aérien. Avec deux plaintes ultérieures, les dommages réclamés totalisent quelque 600 millions de francs à ce jour.

30 septembre 05 - Le Conseil fédéral fait le point sur les mesures prises après la débâcle de Swissair: réorganisation de l'Office fédéral de l'aviation civile, vente des actions de la Confédération dans Swiss, retrait de son conseil d'administration.

15 janvier 06 - La présentation du film «Grounding», consacré à la débâcle de Swissair, relance le débat sur les responsabilités.

31 mars 06 - Le Ministère public zurichois dépose son acte d'accusation contre 19 personnes, dont 17 anciens dirigeants de Swissair. Il retient principalement les délits de gestion déloyale ou fautive, faux dans les titres et faux renseignements sur des entreprises.

27 juillet 06 - Le tribunal de district de Bülach (ZH) accepte l'acte d'accusation complété, après avoir jugé la première version trop imprécise.

Septembre 06 - Le Ministère public de Zurich prépare un deuxième procès, qui portera surtout sur la présentation des comptes du groupe.

4 janvier 07 - Publication de l'acte d'accusation. Nouveauté : Eric Honegger, ancien président du conseil d'administration de SAirGroup, devra aussi répondre de fraude fiscale.

«On en attend trop»

«On attend trop» du procès Swissair, estime le professeur de droit Walter Stoffel. Le jugement devrait éviter de mettre en cause les risques des entreprises, selon lui. On attend du procès qu'il permette à la Suisse de se remettre d'un traumatisme national. Il sera très difficile, dans cette situation, d'arriver à un jugement équilibré, déclare ce professeur de l'Université de Fribourg dans une interview parue vendredi dans le Tages-Anzeiger.