Le rachat du discounter Denner par le géant helvétique du
commerce de détail Migros a laissé la presse alémanique plutôt
sceptique. Elle appelle aussi la Commission de la concurrence
(Comco) à une vigilance toute particulière.
Coop/Migros, un "duopole omnipotent"
«Le seul fait que le numéro 1 (Migros) avale le numéro 3
(Denner) devrait déclencher tous les témoins d'alerte dans le
bureau du surveillant de la concurrence», écrit ainsi le
«TagesAnzeiger». Il montre du doigt ce
renforcement du duopole omnipotent sur le marché Migros/Coop au
moment où de nouveaux acteurs comme Aldi ou Lidl tentent de s'y
établir.
Pour la «Neue Zürcher Zeitung», l'opération ne
paraît ni très réfléchie ni convaincante. Il n'est pas d'usage en
Suisse de déclarer (comme Denner) un match forfait avant même que
l'adversaire (les hard discounters étrangers) ait vraiment mis le
pied sur le terrain. Nombre de gens considéraient le patron de
Denner, Philippe Gaydoul, comme une sorte de «Robin des Bois» du
consommateur. La vente par ledit Robin de son camp de rebelles au
plus puissant marchand de Nottingham est pour le moins irritant,
écrit la «Neue Luzerner Zeitung».
Certains sont moins critiques
Et pour la «Basler Zeitung», le succès d'une
alliance entre discounter et supermarchés reste à démontrer. Les
commentaires de plusieurs autres journaux alémaniques montrent
toutefois de la compréhension pour la manoeuvre.
A l'instar de «Finanz und Wirtschaft» ou du
«Bund» qui trouvent que Denner choisit le bon
moment pour se jeter dans les bras du numéro un de la branche. Ou
de la «Berner Zeitung», pour qui les chances de
Denner pour se mesurer à des concurrents aussi aguerris qu'Aldi et
Lidl dans la lutte aux prix cassés étaient «proches de zéro». Un
point de vue partagé par le «Blick», qui qualifie
la démarche de réaliste.
Quelques réactions de la presse romande
La Tribune de Genève souligne que le mariage
entre Migros et Denner ne fait que renforcer la position dominante
de Migros dans le secteur. Et l'acquisition du discounter par le
géant orange n'aura pas d'effet sur le porte-monnaie des
consommateurs, qui paient toujours leurs produits "en moyenne 30%
plus cher que leurs voisins européens".
Le Temps note de son côté que Migros "occupe tous
les segments du marché: le haut de gamme avec Globus, les ventes en
ligne avec LeShop; le bas de gamme avec ses propres magasins où
s'étend la ligne M-Budget; et, enfin, les articles de marque vendus
par Denner". Le quotidien genevois relève que Migros pourra de plus
vendre de l'alcool et du tabac.
Sur ce sujet, Le Matin note, tout comme Le Temps,
que Gottlieb Duttweiler, fondateur de Migros, doit se retourner
dans sa tombe, lui qui "avait élevé la morale de sa coopérative
jusqu'à interdire la vente d'alcool et de tabac".
Le quotidien 24 Heures dit pour sa part que les
producteurs ont toutes les raisons de craindre ces concentrations.
«Face à ces
mammouths de la distribution qui écrasent leurs marges, ils
seront,
moins que jamais, en position de force pour leur vendre
leurs
produits à un juste prix».
ap/ats/hof
Les prévisions du patron de Migros
Le potentiel de croissance pour les discounters va se tasser cette année déjà, affirme le patron de Migros Herbert Bolliger. Pour 2007, il estime que Denner, dont Migros a acquis 70%, pourra encore croître de 2 à 3%.
Dans une interview publiée samedi par le «Tages-Anzeiger», Herbert Bolliger se dit persuadé que le temps des taux de croissance à deux chiffres (soit 10% et plus) appartiennent au passé.
Denner s'est positionné sur le marché, l'heure est maintenant aux réglages fins, «et il n'y a plus grand chose à en tirer», selon lui. Ces prévisions contrastent avec la fulgurante progression de Denner en 2006, où le distributeur a augmenté son chiffre d'affaires de 21,2% à 2,6 milliards de francs, grâce notamment à l'intégration de Pick Pay racheté à l'allemand Rewe.
"Otto le soldeur" déplore cette cession
Le conseiller national Otto Ineichen (PRD/LU), fondateur de "Otto le soldeur", déplore la vente de Denner à Migros, a-t-il affirmé aux quotidiens "Südostschweiz" et "Argauer Zeitung" de samedi.
Le conseiller national lucernois se déclare toutefois soulagé que Denner n'ait pas été vendu à un groupe étranger. Il estime qu'en Allemagne, les "casseurs de prix" Aldi et Lidl, qui dominent le marché, ont complètement transformé le marché de détail et les structures de livraison, causant de gros problèmes à tout le pays.
Pour Otto Ineichen, les perdants de cette affaire sont les fournisseurs, alors que les consommateurs en sortiront gagnants car ils pourront compter sur des prix attractifs. Cette nouvelle situation est un défi pour sa société, estime l'entrepreneur lucernois.