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La gauche divisée sur l'interdiction des dividendes en cas de chômage partiel

Le Conseil des Etats n’a pas voulu interdire le versement des dividendes par une entreprise qui recourt au chômage partiel
Le Conseil des Etats n’a pas voulu interdire le versement des dividendes par une entreprise qui recourt au chômage partiel / 19h30 / 2 min. / le 6 mai 2020
Les entreprises qui perçoivent des indemnités de chômage partiel à cause du Covid-19 pourront verser des dividendes. Contrairement au National, le Conseil des Etats balaie cette réglementation par 31 voix contre 10. Ce projet enterré aura divisé au centre, mais aussi à gauche.

C'était l'une des questions économiques les plus sensibles de la crise: une entreprise peut-elle recourir au chômage partiel (RHT) et verser des dividendes? Cet objet plébiscité par la gauche au Conseil national a été balayée par les Etats.

Fait étonnant, c'est peut-être un élu socialiste qui a fait pencher la balance pour le rejet de cette réglementation. Le texte prévoyait l'interdiction de verser un dividende en 2020 et 2021 aux entreprises à partir d'une certaine taille.

Dans un mail envoyé aux conseillers aux Etats de l'arc jurassien, le socialiste Jean-Nathanaël Karakash avertit des risques de licenciements massifs en cas d'acceptation de la motion.

Dans ce courriel, que la RTS a pu se procurer, le conseiller d'Etat neuchâtelois en charge de l'économie affirme qu'il n'est pas évident de convaincre les entreprises de recourir au chômage partiel plutôt que de licencier. "Depuis 2013, j'ai dû intervenir personnellement à de nombreuses reprises dans ce but. J'ai également dû le faire régulièrement durant les dernières semaines", écrit-il.

De l'argent détourné pour les actionnaires

Pour une partie de la gauche, comme Marina Carobbio (PS/TI), "l'instrument du chômage partiel a pour but de sauver des emplois pendant la crise. Il n'est pas logique qu'il soit détourné pour verser des dividendes".

La Confédération ayant déboursé 6 milliards de francs pour le chômage partiel, elle devrait être en droit de mettre des limites, estime la Tessinoise. D'autant que, comme l'a relevé la socialiste zurichoise Mattea Meyer durant les débats mercredi, "ces dernières semaines, les entreprises suisses ont redistribué des milliards de bénéfice, y compris aux investisseurs institutionnels à l'étranger".

ABB, Adecco, BKW, Bobst, Georg Fischer, Implenia, LafargeHolcim, Lindt &Sprüngli, NZZ, Orell Füssli,  Straumann, Sunrise ou encore TX group (l'ex-Tamedia): toutes ces grandes entreprises versent un dividende cette année alors qu'elles ont recours au chômage partiel.

10% de chômage à Neuchâtel

L'interdiction de verser des dividendes aux actionnaires lorsque l'on reçoit une aide étatique semble relever du bon sens. Mais sur le terrain, les choses sont différentes.

Jean-Nathanaël Karakash l'assure, aucune grande entreprise ne choisira de renoncer aux dividendes pour obtenir le chômage partiel: "Cela fait deux mois que mes services et moi sommes "au front" jour et nuit, 7 jours sur 7, pour tenter de sauver un maximum d'emplois. [...] Si la mesure passe, en regard des listes des entreprises inscrites en RHT (notamment celles qui sont cotées en bourse en Suisse ou aux US et qui ont déjà annoncé des dividendes), je m'attends pour le seul canton de Neuchâtel à 1200 licenciements supplémentaires dans l'horlogerie, jusqu'à 800 dans les groupes internationaux qui ont des unités de production chez nous et environ 500 entre les secteurs de la vente et de la construction. Cela pourrait amener le canton à un taux de chômage de près de 10% cet été déjà, alors que nous ne sommes encore qu'au début des problèmes économiques".

L'élu neuchâtelois précise par ailleurs que la RHT n'est pas une mesure en faveur des entreprises, mais une mesure de protection en faveur des employés les moins qualifiés. Car ce sont eux qui seraient licenciés en premier.

Caisses de pension et petites entreprises

Un avis partagé par le conseiller aux Etats Charles Juillard, qui a été durant 13 années le chef des finances du canton du Jura. Le PDC pointe d'ailleurs aussi d'autres effets négatifs: "Il faut penser qu'il y a beaucoup de petites entreprises qui investissent et pour lesquelles les dividendes sont une part importante du revenu. Les dividendes génèrent aussi des impôts, qui financent les caisses publiques".

Mais pas seulement. Les caisses de pension, qui investissent beaucoup en actions et dont les rendements sont justement ces dividendes, souffriraient de ce manque à gagner.

>> Voir l'analyse de Nicolas Rossé :

Nicolas Rossé: "Le chômage partiel explose, un travailleur sur trois est touché"
Nicolas Rossé: "Le chômage partiel explose, un travailleur sur trois est touché" / 19h30 / 58 sec. / le 6 mai 2020

Nicolas Rossé et Feriel Mestiri

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