Trois jours à Vienne, à flâner dans ses musées, son parc d'attraction et ses cafés. Ce devait être mes vacances de la Pentecôte avec mes deux enfants.
Lorsque j'ai acheté ces trois billets d'avion au début du mois de février, je n'imaginais pas que le Covid-19 allait changer le monde. Je n'imaginais pas non plus que la quasi-totalité des avions allaient être cloués au sol, et que le vol de Genève à Vienne prévu le 29 mai prochain serait annulé.
Qu'à cela ne tienne. Je me remets de la déception et commence le parcours du combattant pour me faire rembourser.
Mes trois billets d'avion ont été réservés dans une agence de voyage en ligne, supersaver. Cette dernière ne m'a apporté aucune aide. Selon elle, l'agence n'est pas responsable en cas d'annulation des vols.
Agences de voyage non responsables
Bizarre, je croyais le contraire. J'interroge donc un avocat spécialiste de l'aviation, Philippe Renz, qui me confirme: "les agences ne peuvent être tenues responsables du remboursement que lorsqu'il s'agit d'un voyage à forfait, c'est-à-dire la combinaison de deux prestations offertes dans le prix global, comme le transport et l'hébergement."
L'agence de voyage disait donc juste. Elle n'était pas tenue de m'aider, mais s'est toutefois proposée d'obtenir un remboursement auprès de la compagnie aérienne pour 30 euros par réservation. Soit environ 95 francs. A ce tarif, je préfère me débrouiller seule. Et je vais le regretter.
Des bons à la place de l'argent
Sur le site de la compagnie aérienne, sous le chapitre coronavirus, je trouve de nombreuses informations pour reporter mon vol, modifier la date ou la destination de mon billet, et même une réduction de 50 euros si je fixe la date de mon départ en 2020. Rien concernant un remboursement, qui est pourtant garanti par le règlement européen n° 261/2004, valable en Suisse.
Une pratique déloyale, selon Steven Berger, juriste au Bureau européen des unions de consommateurs (Beuc). "Le bon est possible, mais il ne peut jamais être imposé. Toutes les pratiques qui sont mises en oeuvre par les compagnies aériennes actuellement, qui visent à donner une mauvaise information, à mal renseigner le consommateur en faisant croire qu'il n'a le droit qu'à un bon, ou en l'empêchant de trouver la bonne information sur son site, s'approchent de pratiques commerciales déloyales", souligne-t-il.
En France et en Belgique, des compagnies auraient d'ailleurs été mises en demeure pour n'avoir pas respecté ce droit au choix pour le consommateur, affirme le juriste.
Contradiction des compagnies
Je sais maintenant être dans mon droit et insiste pour un remboursement. En poursuivant les recherches sur le site de la compagnie, je finis par trouver un onglet pour annuler le billet en ligne. Mais pour ce qui est du remboursement, on m'indique qu'il faut "contacter l'agence de voyage qui a émis le billet". Faux, selon notre avocat, ainsi que l'Office fédéral de l'aviation civil (OFAC).
Je trouve ensuite - non sans mal - un numéro de téléphone, qui me mène à un message automatique: "Etant donné la situation actuelle, nous sommes débordés et ne pouvons pas vous répondre. Merci de votre compréhension".
35 milliards à rembourser
La question du remboursement semble presque taboue sur les sites de la plupart des compagnies aériennes. J'ai donc interrogé les principales compagnies européennes. Toutes confirment la possibilité d'un remboursement, bien qu'elles préfèrent mettre en avant des avoirs, qui ont été assouplis et dont les durées sont prolongées.
Swiss, par exemple, écrit: "Les remboursements restent en principe possibles. Compte tenu des circonstances exceptionnelles provoquées par la crise du coronavirus, nous ne sommes toutefois pas en mesure de traiter ces remboursements dans les conditions habituelles."
Sur le site d'easyjet, le bon ou le transfert du billet sur un autre vol sont mis en avant. Pour le remboursement, il faut contacté le service client. Mais par email, le service de presse m'informe que "les clients peuvent également soumettre une demande par écrit via un nouveau formulaire en ligne dédié au remboursement", tout en appelant à "plus de patiente qu'à l'accoutumée".
Le sujet est sensible, car près de 4,5 millions de vols ont été annulés jusqu'au 30 juin 2020. En Europe, ce sont 90% des vols qui n’ont pas décollé entre la mi-mars et mi-avril.
S'il fallait rembourser tous ces billets d'avion, les compagnies aériennes devraient débourser quelque 35 milliards de dollars selon des estimations, dont 10 milliards pour les seules compagnies européennes.
Echec des compagnies aériennes à Bruxelles
A l'heure où ces dernières négocient avec les Etats pour leur survie, elles tentent le tout pour éviter les remboursements en monnaie sonnante et trébuchante.
C'est dans cette optique-là qu'elles ont convaincu une majorité des Etats européens à militer à Bruxelles pour changer le règlement et obliger les passagers à accepter un bon, et ce, de manière rétroactive. Une décision européenne qui devait automatiquement être adoptée en Suisse.
La Commission européenne a tranché ce mercredi en faveur des consommateurs en maintenant leur droit au remboursement. Les Etats qui n'obligeraient pas leurs compagnies aériennes à respecter cette obligation pourraient être poursuivis devant la Cour de justice.
Appel à la solidarité
Satisfait par cette décision, les organismes de défense des consommateurs comprennent toutefois que l'industrie du tourisme est en difficulté. "Mais il n'y a pas que celle-là, malheureusement. Et les consommateurs peuvent aussi avoir besoin de cash pour survivre", souligne Steven Berger, du Beuc. Ce groupement d'associations, dont fait partie la Fédération romande des consommateurs, soulève qu'avec l'aide publique apportée aux compagnies aériennes, la contrepartie devrait être le respect des obligations envers les consommateurs.
Quel conseil donner au passager dont le vol a été annulé. Exiger son remboursement? Ou accepter un bon, en signe de solidarité avec une industrie au bord du gouffre? Pour Steven Berger, c'est à chaque consommateur de prendre sa décision. L'essentiel est que la compagnie lui laisse le choix, tout en mettant en garde le consommateur. "Les bons ne sont pas protégés contre l'insolvabilité. Or, nous sommes vraiment dans une situation où il y a des risques pour les consommateurs."
Trop compliqué: comment faire?
Après une courte hésitation, je décide donc de me faire rembourser. Face à des sites compliqués et des répondeurs automatiques, avec des files d'attentes interminables, que faire? "Il faut réitérer sa demande auprès de la compagnie aérienne ou auprès du tour-opérateur. Si l'information est vraiment impossible à trouver, référez-vous à une association de défense de consommateurs, en Suisse, la FRC. Dans un dernier temps, une action judiciaire sera possible, mais vraiment en dernier recours", répond le juriste du Beuc.
Dans tous les cas, il faudra faire preuve de patience. Selon les compagnies aériennes, le remboursement peut prendre jusqu'à un an, comme par exemple chez Air France, qui délivre un bon de voyage remboursable après un an à compter de la date d'émission du bon.
Ne pas annuler son vol cet été
En attendant, j'ai prévu un autre voyage en juillet, mais je crains des complications dues au coronavirus. Dois-je déjà l'annuler? "Surtout pas", répond Philippe Renz. "L'obligation de remboursement n'est effective qu'à partir du moment où la compagnie a annulé son vol", précise l'avocat suisse.
Autant attendre de voir ce que vont faire les compagnies aériennes. Actuellement, les plannings sont faits jusqu'en juin. Au-delà, si le vol est maintenu, le remboursement sans frais n'est pas garanti. Cela dépendra des conditions contractuelles du transporteur, ou de l'agence de voyage. Face à la situation exceptionnelle liée au Covid, certaines compagnies aériennes font un geste et proposent de modifier la réservation ou de rembourser le billet sous forme d'avoir valable pendant quelques mois.
Attention aussi aux assurances annulations. Certaines ne couvrent pas le risque de pandémie.
Delphine Gianora et Feriel Mestiri